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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/801

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est réservé à un petit nombre d’étoffes de choix. Aujourd’hui que nos sortes indigènes sont cotées jusqu’à 45 francs le kilo, le « Lion d’Or » ou l’ « Éléphant jaune » du Céleste Empire descendent au-dessous de 30 francs. Depuis vingt-cinq ans les prix n’ont cessé de décroître ; ils sont inférieurs des deux tiers à ce qu’ils étaient au moment de la guerre franco-allemande, et cela malgré des fluctuations énormes de hausse et de baisse : un mouvement de folie faisait, en 1876, monter les cours pendant quelques mois de 200 pour 100 ; en 1893 une qualité moyenne de Languedoc, qui avait atteint 75 francs au 1er mai, ne valait plus que 43 francs au 31 décembre. Et nul ne pourrait affirmer que les générations futures ne verront pas, à des chiffres plus bas encore, ces filés jadis si précieux.

Outre les papillons domestiques, — aux amours desquels nous devons la peluche et le damas, et que nous ne laissons vivre à l’état de chenilles, après les avoir chauffés, soignés et tonifiés, lorsque leur constitution s’anémie, que juste autant de jours qu’il est nécessaire à nos besoins, — il existe, à l’état sauvage, en Afrique, en Asie, en Amérique, un nombre incalculable de lépidoptères fabricans de soie, vivant isolés ou en société. Il en existe dans les bois des environs de Paris et jusque sur certains arbres de nos boulevards. La presque totalité de leurs cocons, dont beaucoup ne sont pas dévidables, demeure à l’abandon sous les abris ou dans les poches, garnies d’une bourre épaisse, où ils ont été tissés. Il y a là peut-être une mine extrêmement riche, que le siècle prochain s’avisera d’exploiter. N’oublions pas que de nos jours, jusqu’à ce qu’on eût découvert le moyen de filer les déchets actuels, cette « schappe » était regardée comme absolument impropre au tissage, auquel elle fournit désormais le tiers de sa consommation annuelle.

Déjà l’ouvrage d’insectes à demi civilisés a fait son apparition en Europe, sous la forme de cette soie tussah, expédiée par les Indes et le nord de la Chine, où ces vers, plus sobres, moins exigeans que les pensionnaires des magnaneries, vivent comme ils peuvent sur des peupliers ou des chênes. Débarrassée par l’eau oxygénée de sa couleur ordinairement brune, la soie tussah reste plus grossière que l’autre et possède un aspect métallique d’un brillant particulier. On l’emploie surtout à la confection des velours.

Le ver classique du mûrier n’aura-t-il pas aussi d’autres rivaux que des congénères sans notoriété ? L’homme ne s’avise-t-il pas de se passer de lui et d’enfanter la soie tout seul ? Une société s’était fondée à Lyon, voici une douzaine d’années, ayant