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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/817

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a été le théâtre depuis le commencement du siècle. La fixité des prix de façon n’a pas amené de moindres discordes. « Si le salaire avait besoin d’une justification, c’est dans l’industrie lyonnaise qu’il la trouverait », a dit très justement M. Aynard, député du Rhône et président de la chambre de commerce, qui connaît à merveille ses compatriotes. Le socialisme dit au prolétaire de prendre la machine ; à Lyon le tisseur la possède, mais sur lui retombe le risque des fluctuations et du chômage, et il en est accablé.

Le compagnon délicat qui tisse mélancoliquement des choses brillantes, manque d’ouvrage cent jours par an en moyenne et, quand il travaille, il ne gagne pas autant que le robuste maçon qui ne met en œuvre que ses muscles. Le canut ne voudrait pas cependant abdiquer la liberté dont il jouit. Il n’est point ouvrier d’usine, et s’en vante ; c’est une sorte d’artiste maître de son modeste atelier. Il aime mieux traiter avec le patron de puissance à puissance que de goûter une sécurité enrégimentée. L’indépendance est forcément périlleuse ; il doit épouser les chances bonnes et mauvaises, et le fabricant, qui n’a aucune obligation précise envers lui, l’emploie ou le délaisse comme un stock flottant de bras, selon l’état des affaires.

Cette organisation défectueuse, dont je parle au présent, ne sera bientôt plus du reste qu’un souvenir, entretenu par l’intérêt des fabricans, par l’amour-propre des tisseurs et aussi par la variété infinie d’étoffes qu’embrasse cette manufacture, — depuis le velours épais jusqu’à la gaze impalpable, — par leur changement incessant, par le petit nombre de pièces sur lesquelles portait chaque commande, le système antique a dû céder devant les exigences du bon marché. La poursuite ardente du « plus grand produit par le moindre effort », — formule qui gouverne le siècle, — a d’abord éparpillé dans les champs la majeure partie des métiers urbains.

Associé à une besogne rurale, le tissage supporte mieux les intermittences qui le ruinaient en ville. Le fait mérite d’être noté de progrès industriels, agissant au rebours de la dépopulation des campagnes que généralement on leur impute et ayant pour effet, non d’enlever des bras à l’agriculture, mais de lui en procurer et de l’enrichir. On constatait, au dernier concours régional de Lyon, que cette dispersion des ouvriers de la soie avait été, par les ressources qu’elle apporte dans les fermes, l’une des causes de l’amélioration des terres de la vallée du Rhône. En 1848, il y avait encore 60 000 métiers on ville, contre 5 000 disséminés dans les cantons du département. Il ne reste aujourd’hui à Lyon que