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petites bobines qui se placent côte à côte, au nombre de 200, sur l’ourdissoir où commence la préparation de la pièce. Cette pièce a tantôt 50, tantôt 100 ou 150 mètres de long ; elle a généralement 0m, 52, de large et le nombre des fils de chaîne qui seront juxtaposés dans cet espace minime de 0m, 52, varie de 4 000 à 10 000.

Ces chiffres pris pour base, et rapprochés du rendement moyen des cocons, nous apprennent qu’un mètre courant de tissu — chaîne et trame — correspond à 60 ou 150 cocons, suivant que l’étoffe est légère ou forte ; si bien qu’une de vos robes, mesdames, si elle est en soie pure, représente, pour les 12 ou 14 mètres qu’elle absorbe, le travail de 1 300 vers consciencieux. A mesure que les 200 bobines dévident lentement leurs fils qui, maintenus entre les dents du peigne, s’alignent sur un large rouleau, l’ouvrière enlève au passage les « bouchons », nœuds et grosseurs diverses qui formeraient des « crapauds » et dérangeraient l’harmonie du tissu, L’instrument est muni d’un timbre qui sonne aussitôt que le dévidage atteint la longueur de la pièce projetée. Les 200 fils sont alors coupés, le rouleau se déplace et 200 autres viennent se ranger à côté d’eux. A la fin de l’opération les 4 000 fils, beaucoup plus au large sur les premiers rouleaux qu’ils ne le seront dans l’étoffe, doivent se serrer pour n’occuper sur une seconde machine que les 52 centimètres prescrits. C’est le « pliage », à la suite duquel les fils sont portés au « métier à remettre ».

Pour que la chaîne s’unisse à la trame, pour que les fils, lancés par la « canette » au travers du tissu en formation, passent tantôt au-dessus, tantôt au-dessous de chacun des fils tendus en long, l’ouvrière dispose ces derniers de manière que le mouvement du métier tisseur fasse, à tout coup de trame, monter alternativement une partie d’entre eux et descendre l’autre. Elle introduit, un par un, les fils dans des « mailles, » sortes d’anneaux de ficelle, suspendus à des bandes de bois que l’on appelle « lices ». S’il s’agit d’un taffetas, ou autre pièce très simple, dont les fils s’entrecroisent régulièrement, deux « lices » sont suffisantes : la première portera, sur ses 2 000 ficelles, les premier, troisième, cinquième fils, etc. ; tandis qu’entre les 2 000 mailles de la seconde seront enfilés les deuxième, quatrième, sixième fils, et ainsi de suite.

Mais ce tissage rudimentaire est très rare dans l’industrie soyeuse, dont les « armures », — le jeu infiniment varié des fils dans leur contexture intime, en long et en large, — constituent l’originalité. Pour le satin, par exemple, il faut huit « lices » au lieu de deux ; parce qu’à chaque passage de la navette 7 fils sur 8 s’abaissent, le huitième seulement se lève pour former un « liage »,