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d’Allemagne ne voudraient pas avoir manufacturés. » Bien au contraire ; le développement de ces « merveilleux glacés » à 1 fr. 90, de ces « polonaises » à 1 fr. 45, de ces satins à 0 fr. 95 et au-dessous, que M. Permezel — l’un des créateurs du genre — expédie par monceaux sur les côtes d’Afrique, est indispensable, non seulement pour maintenir nos exportations, mais pour empêcher même le marché national de nous être ravi par la concurrence étrangère. Un cabaretier de Saint-Mandé, après avoir fait emplette pour sa fille d’un coupon de popeline — dont le nom désigne justement un composé laine et soie — vint le lendemain, furieux, redemander son argent, sous prétexte que le tissu n’était pas de soie pure. Le cas est rare toutefois ; l’acheteur est assez intelligent pour savoir qu’on ne le trompe point.

Il comprend que la proportion de soie augmente ou diminue selon le prix de l’article : un satin tramé coton par exemple contient encore moitié de soie ; le rapport des deux textiles se modifie, suivant le but à atteindre, à l’avantage du coton qui forme les trois quarts, les 7 huitièmes et jusqu’aux dix-neuf vingtièmes du tissu, lequel ne conserve plus de la soierie que le mirage, une sorte de vernis fragile. On va plus loin encore : il existe une méthode de soiage qui crée des guenilles brillantes en précipitant, au moyen d’un acide, sur des jutes ou d’humbles madapolams, une solution de soie liquéfiée dans l’ammoniure de cuivre.

La fabrication des soies mélangées était de 23 millions de francs, il y a un demi-siècle ; elle se chiffre à l’heure actuelle par 151 millions ; les deux cinquièmes de la production lyonnaise en valeur, les trois quarts en quantité de mètres. À ce chiffre s’ajoute l’appoint de la région du nord, de Roubaix en particulier, où cette spécialité prospère. Une partie de ces marchandises constitue ce qu’on appelle le « teint en pièces », dont les fils sont tissés avant la teinture. À ces types nouveaux pas n’est besoin de préparations coûteuses : par le gaufrage ils acquièrent une épaisseur factice ; par l’impression ils sont revêtus en quelques instans de la couleur et du dessin et rivalisent, comme aspect, avec les plus beaux brochés.

Qu’on n’aille pas croire pour cela à l’abandon des luxueux produits de jadis. Une série de maisons, uniquement occupées de créer des modèles inédits, tiennent la tête de l’industrie soyeuse. Quelle fécondité artistique il leur a fallu déployer pour conserver la primauté, un total nous l’apprendra : le conseil des prud’hommes a, depuis 1813, enregistré 110 000 vignettes ou dispositions nouvelles. Ces inventions, prises en bloc, sont médiocrement lucratives. Elles ne réussissent pas toutes, bien entendu,