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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/823

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et celles dont la mode s’empare, ou n’ont qu’une vogue éphémère, ou, si leur succès paraît durable, sont copiées dans tout l’univers. Le négociant qui les a suggérées, qui le premier les a mises au jour, en profite toutefois d’une manière indirecte : son renom s’accroît sur le marché, la clientèle des couturiers de marque vient à lui et lui achète, en même temps que la nouveauté qui sert d’appât, les genres unis, les doublures, les « fonds de jupe », tout ce qui forme le courant usuel et permet d’atteindre le gros chiffre d’affaires.

Dans sa gestation inquiète, enfiévrée, d’effets inimaginés jusque-là, d’attributs, de nuances, de grains non essayés encore, le marchand de soieries, guidé par une longue école de l’œil, est aussi servi par le hasard. Telle innovation heureuse n’a eu d’autre cause qu’une erreur commise dans le tissage, une fine rayure dans un satin uni provenant de l’écartement des peignes à la fabrication. On reproduisit avec soin ce défaut, devenu un charme, et l’étoffe, grâce à lui, fit son chemin dans le monde, comme ces acteurs aimés du public qu’un vice de prononciation fait acclamer pendant trente années.

Une farce traditionnelle entre commis de la soierie, dans la capitale, consistait à envoyer les débutans — les « bistos » — demander la « presse à velours », chez un confrère qui, entrant aussitôt dans la plaisanterie, déclarait l’avoir prêtée à une maison éloignée, dont il donnait l’adresse. Si bien que le néophyte se promenait, pendant une journée, à la poursuite de cet accessoire analogue, au civil, à ce qu’était le « parapluie de l’escouade », que les anciens facétieux envoient quérir par les recrues chez le sergent-major. Cet outil, jugé d’une absurdité exquise, n’en est pas moins devenu une réalité, il y a cinq ou six ans, par suite de la mauvaise humeur d’un employé des postes, ou de la médiocre qualité d’une encre à tampon. Un échantillon de velours, adressé de Lyon à un négociant de la rue du Quatre-Septembre, s’était trouvé, en cours de route, victime du timbre à date, apposé sur lui avec une telle force et une insistance si répétée, que son poil en était, par places, tout couché. A l’ouverture de son courrier, le destinataire s’avisa que cet écrasement était d’un effet heureux et original. Il chercha à aplatir, méthodiquement cette fois, quelques-uns de ses velours avec un fer à repasser. Les résultats furent mauvais ; chaque coup de fer laissant une trace, le miroitage était inégal. Après trois mois de tâtonnemens, pendant lesquels on avait, reconnu la nécessité d’un instrument spécial, la « presse à velours » était inaugurée. Les premières pièces de l’article nouveau, baptisé velours-miroir à cause de ses reflets,