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ne souhaitait une restauration monarchique, il jugeait que le péril prochain était dans le rétablissement d’une monarchie impériale. Il ne pouvait se persuader que le président dît ce qu’il pensait, et que sa seule visée fût d’obtenir cette prolongation légale de ses pouvoirs qu’il l’eût volontiers aidé à atteindre[1].

Ce ministère, choisi dans la minorité républicaine d’une chambre monarchique, constituait une négation flagrante du principe même du gouvernement parlementaire. Dufaure, « avec son regard presque constamment et presque exclusivement fixé sur lui-même, ne se rendit point compte de la violence qu’il avait faite au président et à l’Assemblée en envahissant avec ses amis un Cabinet où il n’était point parlementairement appelé[2]. » Il ne correspondait aux sentimens de la majorité que par sa volonté de rendre plus étroite la captivité morale du Président. Celui-ci, qui se rendait compte des dispositions de ses ministres, leur échappa par un coup imprévu. Sans les avertir ni les consulter, il adressa un message à l’Assemblée. C’est tout naturel aux Etats-Unis, où le Président, seul responsable, n’a dans ses ministres que des commis. Ce ne l’est plus du tout dans une constitution qui établit la responsabilité ministérielle. Cette manifestation directe signifiait : « Je ne suis pas lié par mes ministres, ils ont leur politique, j’ai la mienne. » Et c’est en effet sa politique personnelle que, sans souci des opinions de MM. Dufaure, Tocqueville, Falloux, le Président exposait au pays, dans une langue d’une gravité haute et simple. Sa conclusion renouvelait ses déclarations antérieures : « Mes intentions sont conformes aux vôtres. Vous voulez, comme moi, travailler au bien-être de ce peuple qui nous a élus, à la gloire, à la prospérité de la patrie ; comme moi, vous pensez que les meilleurs moyens d’y parvenir ne sont pas la violence et la ruse, mais la fermeté et la justice. J’appelle sous le drapeau de la République et de la Constitution tous les hommes dévoués au salut du pays, je compte sur leur concours et sur leurs lumières pour m’éclairer, sur ma conscience pour me conduire, sur la protection de Dieu pour accomplir ma mission (6 juin). »

Les nouveaux ministres et le Président s’étaient à peine salués et regardés, ils allaient s’expliquer, quand un appel aux armes retentit à la tribune.


IV

Le prince Louis-Napoléon avait trouvé les affaires extérieures en aussi mauvais état que celles de l’intérieur. Pendant qu’il

  1. Tocqueville, Souvenirs, p. 349.
  2. Falloux, Mémoires, t. I, p. 554.