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qui l’amusait par l’originalité et la désinvolture de ses façons. Cette liaison n’excluait pas les galanteries de hasard.


Ses sujets avaient cent raisons
De le nommer leur père.


Pendant la guerre il avait déployé la vaillance du soldat et non celle du capitaine. Que ferait-il comme roi ? Nul ne pouvait le dire. Ses premières paroles furent rassurantes : « Je conserverai intactes les institutions octroyées par mon père, je tiendrai haut et ferme le drapeau tricolore, symbole de la nationalité italienne, qui, vaincue aujourd’hui, triomphera un jour. Et ce triomphe sera, à partir de ce jour, le but de tous mes actes et de toutes mes pensées. » Mais il avait débattu lui-même avec Radetzky les conditions d’un armistice désastreux. N’avait-il rien promis ? Gendre d’un archiduc, ne s’était-il pas rangé à ce vasselage de l’Autriche que Charles-Albert avait si longtemps subi en le maudissant ? On le craignit, lorsqu’il plaça à la tête de son premier ministère le général De Launay, brave soldat, réputé très rétrograde. Aussi à son entrée à Turin fut-il reçu glacialement. Il en pleura de douleur. Ces défiances de l’opinion ne se dissipèrent que lorsqu’il eut confié le ministère à Massimo d’Azeglio. Avec ce galant homme on cessa de redouter une réaction, on fut certain que le Statuto resterait intact. L’effet heureux de ce choix ne fut pas moindre au dehors qu’au dedans.

D’Azeglio, connu par les uns comme romancier, par les autres comme peintre, comme gentilhomme, avait l’agrément de qui n’approfondit rien, court légèrement sur les surfaces, et se procure ainsi le loisir d’être charmant. Son désintéressement et sa loyauté imperturbables mettaient de l’assiette dans sa vie facile et lui assuraient le respect comme ses dons variés lui attiraient la sympathie. Ce qui séduisit surtout et parut nouveau en lui, c’est que pour la première fois il y eût aux affaires en Piémont un homme qui ne fût pas alourdi par le pédantisme des façons bureaucratiques. Sa manière d’expliquer les affaires, sans emphase, comme dans une causerie, avait de la vivacité, de la grâce, et un reflet de sa fierté morale. Sa devise était : « Aboyer peu, mordre beaucoup. » Parfois, il lui arrivait, à l’improviste, de jeter sur la trame habituellement incolore de ses discours des images gracieuses : « N’allez pas tirer le blé pour le faire croître, vous l’arracheriez et il faudrait le ressemer. » Il accepta courageusement la mission qui fut, après 1815, celle du duc de Richelieu chez nous, de signer le traité qui consacrait le désastre de sa patrie.