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extravague et vote une invitation au gouvernement à « prendre sans délai les dispositions nécessaires pour que l’expédition ne fût pas plus longtemps détournée du but qui lui avait été assigné. » Qu’était-ce à dire ? Que nous nous arrêterions au pied des murs de Rome et que nous y assisterions, battus et contens, aux prouesses mazziniennes ? Cela même ne nous eût pas été possible. Les Autrichiens s’avançaient par Bologne et Ancône, les Napolitains franchissaient la frontière pontificale ; et les Espagnols les rejoignaient à Terracine. Oudinot ne les arrêta qu’en leur faisant savoir que leur marche en avant serait considérée comme un casus belli.

Cependant, par déférence pour un vote au moins ridicule, et pour laisser à l’Assemblée législative le temps de s’installer, le ministère expédia Lesseps en négociateur pacifique.

Quant au Président, sans se préoccuper ni de ses ministres, ni de l’Assemblée présente ou future, il écrit à Oudinot (8 mai) : « Notre honneur militaire est engagé, je ne souffrirai pas qu’il reçoive une atteinte ; les renforts ne vous manqueront pas. Dites à vos soldats que j’apprécie leur bravoure, que je partage leurs peines, qu’ils pourront toujours compter sur mon appui et sur ma reconnaissance. » Il fait mettre cette lettre à l’ordre du jour par Changarnier et envoie à l’armée le général du génie Vaillant, avec instruction de recommencer vigoureusement l’attaque aussitôt que possible, l’autorisant par des lettres de service à se substituer à Oudinot s’il le jugeait nécessaire. Lesseps ne comprit pas qu’on ne l’avait envoyé que pour gagner du temps ; il se laissa enguirlander, reconnut la République romaine, lui accorda une convention inacceptable, contraire à notre honneur et à ses instructions. Le général Vaillant le regarde s’agiter tant qu’il n’est pas prêt ; dès qu’il est prêt, l’écarte, le fait rappeler, conserve par bienséance Oudinot, et pousse l’armée française à l’assaut.

Les mazziniens se répandirent en imprécations et les libérâtres en sarcasmes contre le tyran. Mais les Italiens éclairés reconnurent leur futur sauveur en celui qui les délivrait à la fois de leurs pires ennemis : l’Autrichien et le démagogue. Les révolutionnaires français firent naturellement écho aux mazziniens. Il n’était plus permis, même aux plus aveugles, de croire que « Florence et Rome sans armée, sans argent, sans élan, sans union, sans confiance, pussent soutenir la guerre nationale[1] » ; ils le crurent. Il était déloyal de supposer au Président des intentions réactionnaires après son message explicite en faveur de cette Italie dont aucune des douleurs ne peut nous être indifférente ; ils eurent cette

  1. Lettre de Minghetti du 10 avril 1849.