Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/875

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

uniquement de la misère, d’une misère infinie, sans horizon, sans échappée, sans autre compensation que l’abrutissement de l’ivresse. Et si ces malheureux s’enivrent, aussitôt qu’ils ont une heure de loisir, ce n’est pas pour s’affranchir un instant de leur morne condition, c’est tout simplement parce qu’ils ne connaissent pas, n’imaginent pas d’autre plaisir. Quand l’homme cherche au fond de son verre le suicide moral, il confesse en même temps que son malheur un désir de surmonter la destinée, et, dans la perte de sa raison, il y a comme un effort volontaire qui atténue peut-être son avilissement. Mais le cholo bolivien ne sent pas même le besoin d’une vie meilleure, tant il est façonné à celle que ses maîtres lui ont de tout temps imposée. Si parfois ce besoin perce dans une menace ou dans une chanson, il est tellement vague qu’il ressemble moins à un éveil de conscience qu’à un cri physique.

Ces hommes seraient-ils donc incapables d’être réformés et de recevoir une éducation morale ? Rien ne le fait supposer ; mais, il faut le dire, outre que leur besogne leur rappelle sans cesse le pouvoir de l’argent et la prédominance des jouissances matérielles, ceux qui les dirigent et les paient désirent avant tout les maintenir dans cet état de torpeur et d’abaissement. Ils semblent encourager leurs habitudes d’ivrognerie : les vieilles coutumes que les maîtres respectent le plus, sont celles qui contribuent à leur former de plus sûrs esclaves. Le mineur que j’ai vu subit une implacable servitude : ses vices, soigneusement entretenus, le rivent à la mine mieux que l’appât du gain. Il me semble que j’ai déjà prononcé le mot de « féodalité » à propos des exploitations du salpêtre. Le mot est plus vrai des exploitations minières. Je me suis cru souvent transporté à dix siècles en arrière, au milieu d’un peuple de serfs. Je doute qu’en aucune autre partie du monde on trouve des mineurs plus soumis et plus silencieusement convaincus de la nécessité du mal sur la terre. Les compagnies ne peuvent se plaindre. Les révoltes sont rares, les grèves presque inconnues. Une bouteille d’eau-de-vie apaise toutes les revendications et résout les questions sociales.

Les cholas, elles, boivent et font l’amour. Quelques-unes sont assez jolies, jusqu’à dix-huit ans. Elles ont des visages irréguliers et fanés, dont la grâce semble souvent douloureuse. C’est la beauté du diable, quand il souffre. Elles ne tardent pas à épaissir et à se déhancher, et la plupart, déformées par des maternités précoces, aveulies par la paresse et la malpropreté, n’offrent que des types de laideur repoussante. Les administrateurs et hauts employés se réservent les plus avenantes. Elles portent leurs enfans, à la façon indienne, sur leur dos, empaquetés dans leur châle, comme dans une flotte ; et ces enfans sont