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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/894

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de longs tuyaux de pompes à air comprimé rampent contre les poutres : le silence de ces mornes profondeurs n’est troublé que par le bruit de l’eau qui y est aspirée. Parfois nous longeons une fondrière, où bouillonne un Ilot saumâtre. Comme les pompes ne suffisent pas, on fait descendre dans ces étangs souterrains des sortes d’outrés de cuir, qui remontent en ruisselant le long de cheminées noires. Quelquefois aussi la voie que nous suivons est coupée par une mare profonde de six ou sept mètres : on a jeté dessus une planche où nous nous hasardons et qui ploie sous nos pas. A un certain moment, la chaleur est si forte que nous nous laissons choir sur des blocs de pierre. Nos petits porteurs tiennent à la main des sacs pleins d’étoupes et nous en distribuent des paquets. Nous nous épongeons le front et la poitrine. Littéralement notre corps fond en sueur. Tout est désert. Mais de temps en temps, collé à la muraille, entre deux piliers de bois, un homme, nu jusqu’à la ceinture, nous apparaît. C’est moins un homme qu’une statue de bronze. Il nous a entendus approcher, et s’est rangé pour nous laisser le passage libre. Je distingue à peine, aux lueurs des torches, sa physionomie jeune encore et résignée. Ces gens observent le silence de la tombe. Quand ils se rencontrent, les plus bavards ne murmurent qu’une seule parole : Jésus. C’est le mot de ralliement de toutes les souffrances humaines.

Des deux côtés de la galerie, s’ouvrent des grottes aux escaliers tournans, qui mènent à d’autres galeries, où ne parviennent pas les ascenseurs. La mine a une profondeur de plus de quatre cents mètres. Nous sommes descendus dans une de ces cavernes, mais celui qui n’y est point habitué ne tarde pas à ressentir d’étranges courbatures. Il y respire du feu, et ses jambes faiblissent. La première fois que notre compatriote M. Vattier s’y aventura, il faillit y rester. Et lui-même, il me racontait ses impressions. Il était arrivé au « planès » de la mine, c’est-à-dire à son tréfonds. Les Indiens et les lampes, qui l’entouraient, absorbaient tout l’oxygène. Peu à peu sa tête tourna ; les lumières grandirent autour de lui démesurément ; le mur scintillant lui fit l’effet d’une immense surface blanchâtre. Il éprouva comme la sensation d’avoir franchi les bornes de la vie. Le silence, ces visages sombres, ces lueurs éclatantes, cette muraille de feu, le poids de douze cents pieds de terre sur les épaules, le vague sentiment qu’il lui serait impossible de remonter jusqu’au jour, désagrégeaient tout son être. Il ressentit une indicible volupté, une béatitude de délivrance, et s’abattit. Quand, plusieurs heures après, il revint à lui dans un « rancho », et qu’il vit rôder autour de sa couche un grand Indien, il crut qu’il se réveillait dans un autre monde ou qu’il devenait