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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/895

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fou. Je ne désirais pas outre mesure partager ces funèbres impressions, et, bien qu’il ne m’en eût peut-être rien coûté de les affronter, nous ne nous attardâmes pas dans ces escaliers apocalyptiques, et notre petite troupe regagna la galerie.

Nous en vîmes bientôt l’extrémité, le « front de taille », comme on l’appelle. C’est là que le mineur travaille. Il frappe de son marteau de fer sur une barre du même métal, qu’il enfonce dans la pierre en lui imprimant un mouvement de rotation. Celui que nous avions sous les yeux était à genoux et procédait avec lenteur. Il s’arrêtait souvent, comme un homme épuisé. Nous avions grimpé près de lui, car il était juché sur des espèces de démolitions, et, quand il se tenait debout, sa tête touchait presque la voûte de cet antre. La roche scintillait à la clarté de nos lampes. On m’indiqua le filon, qui avait environ cinquante centimètres de largeur. Les mineurs étaient arrivés à un endroit où il se rétrécissait singulièrement. Toute la grotte brillait, comme si elle eût été incrustée de nickel et d’argent. Ce n’était pourtant que du mica qui étincelait ainsi. L’argent ne reluit pas dans les mines, à moins qu’on ne se trouve en présence de pépites. Il est caché dans la pierre : seule, la chimie l’y découvre et l’en arrache. D’ailleurs, la pépite est l’ennemie de tous les administrateurs ; les ouvriers la volent, et leurs ruses déjouent les plus habiles précautions. On me racontait le fait suivant : dans une mine, d’où l’on extrayait souvent de l’argent presque pur, la Compagnie avait essayé de tous les moyens pour empêcher la fraude. Les mineurs ne reculaient devant aucun système : les replis les plus secrets de leur corps leur servaient de réceptacles, et ils usaient fréquemment de la cachette que les chevaliers de Malte exploraient avec soin, si l’on en croit Voltaire, quand ils prenaient des Turcs ou des Turques. On ne se contenta pas de les contraindre à se déshabiller en sortant de la mine : on les obligea d’enjamber une planche et de crier en même temps : « Viva el Chile ! » Cependant les vols ne diminuaient pas, et la Compagnie était aux cent coups, lorsqu’un hasard lui révéla l’expédient dont les ouvriers s’étaient avisés. Les malins tuaient les rats qui infestaient les galeries, les vidaient, remplissaient leur peau de gangues riches, la recousaient, et, au nez même des surveillans, la jetaient en dehors de la mine sur des remblais, où, le soir venu, ils allaient chercher leur butin. D’ailleurs ce vol n’a dans l’esprit des indigènes aucune gravité. On en fait un commerce, que, pour un peu, la loi reconnaîtrait. Personne n’ignore au Chili que le père d’un des hommes politiques les plus considérables de l’heure présente a commencé sa prodigieuse fortune en achetant à Copiapo des minerais soustraits par les mineurs. Et tout dernièrement une personne de ma