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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/896

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connaissance entendait sur un paquebot des côtes ce dialogue entre deux passagers :

— Comment va votre gendre ?

— Très bien, je vous remercie.

— Et que fait-il dans le Nord ?

— Il s’occupe de questions de banque, mais le plus clair de son bénéfice, ce sont encore ses achats de minerais volés. Il a organisé une agence…

Le mineur continuait sa tâche devant nous, et le trou se creusait lentement. Ces trous sont mesurés par le surveillant et payés suivant leur profondeur. On y introduit alors la cartouche de dynamite, le mineur allume la mèche, et, sans hâte, avec une témérité dont il fait une coquetterie, il s’abrite sous une excavation voisine, tandis que la roche éclate et que les éclats pleuvent à ses pieds. Nous nous étions assis à quelques pas de ce taciturne et indolent travailleur. La chaleur, toujours accablante, nous oppressait, et je remarquai qu’instinctivement nous parlions à voix basse. L’obscurité, le silence et le mystère nous inclinaient au chuchotement religieux des églises et des cimetières. Je ne sais quelle paresse de gestes et de pensées m’engourdissait. Il me semblait que la lumière du ciel n’était pas si nécessaire à l’homme et que je pourrais végéter dans cette solitude souterraine. Puis, tout d’un coup, le souvenir du jour me lancinait ; j’aurais voulu courir, et d’un seul bond émerger à la clarté rose du matin.

Près de moi Philippi, qui depuis deux ans redescendait pour la première fois dans une mine, sentait se réveiller en lui son ancien enthousiasme de mineur.

On peut donc aimer la mine ? Mais oui, comme le Breton adore les Ilots, comme les « cateadors » se passionnent pour les arides montagnes, comme le minéralogiste s’exalte devant les silencieux déserts. Le désert est beau ; la montagne toute nue est belle ; la mine, qui prolonge ses artères de léviathan, a même pour celui qu’elle tue un attrait irrésistible. Et le charme qu’exercent sur l’esprit des hommes et la mine, et le désert, et les flots, et, d’une manière générale, les plus âpres labeurs, nous relève et nous ennoblit, car, si on l’analyse, le dernier élément qu’on y trouve et le plus fort n’est que du pur désintéressement. La nature se charge de nous rendre supérieurs à notre besogne par l’obscur dévouement que nous y consacrons, à notre insu. Si le premier mobile qui nous y entraîne n’est qu’un intérêt matériel, il ne tarde pas à s’évanouir sous la beauté de l’effort humain. Et certes, ce n’est pas pour gagner de l’argent que le marin court de lui-même au-devant des bourrasques, puisque l’argent ne saurait le retenir à terre. Ce n’est pas par simple appétit d’un trésor que le