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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/928

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Par conséquence naturelle, du côté de nos cadres de troupe il y a aussi beaucoup à faire ; c’est le personnel qui souffre et aussi travaille ; on lui emprunte trop souvent sans compter, au profit du personnel hors cadre. Dans le même ordre d’idées la question des rengagemens doit nous préoccuper au premier chef : elle est restée en chemin par suite d’économies mal entendues ; on a repris d’une main ce qu’on donnait de l’autre, la prime, l’ameublement, les emplois civils ; et la patience des intéressés s’est lassée d’une attente trop longtemps mystifiée.

Sans ces rengagés pourtant, par ce temps de service à court terme, l’œuvre militaire du pays ne saurait vivre ; ils sont la tradition, c’est-à-dire l’âme même de l’armée. Il faut leur faire la part assez belle pour qu’ils nous restent et aussi que nous puissions exercer sévèrement notre choix sur ceux que nous gardons. Il le faut d’autant plus que le rengagement, dans des conditions utiles pour l’armée, n’est à rechercher que pour les cadres inférieurs ; eût-on l’argent, on ne l’obtiendrait pas des soldats. Ce qui se passe pour l’infanterie de marine le démontre suffisamment. Malgré une prime avantageuse, l’élément français ne donnerait pas le nécessaire, s’il ne s’accroissait des étrangers de la Légion naturalisés, tentés par la prime que leur ancien corps n’est pas autorisé à leur offrir. Nous ne pouvons nous bercer de l’espoir de ressusciter la mode des engagemens par coups de tête, ambition généreuse ou révolte contre l’inaction ; c’est fini le temps où l’on mettait une certaine crânerie à partir pour l’Afrique, aujourd’hui on n’y va plus qu’en touriste. Passé aussi celui des remplaçans qui ajoutaient, sou par sou, leur prêt à leur prime, pour rapporter une petite fortune au village. Non, les habitudes se sont modifiées, et c’est précisément parce que l’attrait des choses militaires s’y fait de moins en moins sentir que tout l’espoir des campagnes à venir résidera de plus en plus dans l’armée du temps de paix mobilisée, la seule qui combattra avec de vrais officiers, avec de vrais cadres.

Une organisation militaire rationnelle saura tirer le meilleur rendement des ressources du pays ; mais ces ressources elles-mêmes vaudront suivant que l’éducation nationale favorisera ou contrariera l’éducation militaire. Sans doute il est d’une sage prévoyance de préparer à la vie du régiment, en multipliant les sociétés de tir et de gymnastique, de fortifier les muscles, d’assurer le coup d’œil ; c’est autant de gagné sur cette instruction militaire, aujourd’hui si chargée pour un temps si court. Peut-être cela cadre-t-il aussi avec la secrète ambition d’une durée de service de plus en plus réduite, et n’est-on pas loin d’imaginer qu’on arriverait à acquérir ainsi un ensemble de connaissances