Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/954

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’inconvénient des machines de ce genre, lorsqu’elles ont été montées et qu’elles ont fonctionné depuis longtemps, est qu’elles continuent de se mouvoir par habitude, après avoir perdu leur ancien moteur et régulateur. On voit alors des choses qui ne sont peut-être pas plus étranges que celles de la veille ; mais on les voit, ce qui est déjà une différence. Et si elles ne sont pas plus étranges, elles sont plus décousues et plus folles, livrées au hasard et marchant à la débandade. Une institution mauvaise en elle-même ne se manifeste plus que par ses pires côtés. C’est ce qui est arrivé à la police politique à Berlin. Le procès d’hier est le sien. Un tel procès ne pouvait pas manquer d’être intéressant en lui-même ; il l’est devenu encore davantage par l’intervention d’hommes politiques de la plus haute volée, du prince Hohenlohe, du baron de Marschall, du comte d’Eulenbourg, c’est-à-dire du chancelier de l’Empire, du secrétaire d’État aux affaires étrangères, de l’ambassadeur d’Allemagne à Vienne. A côté de ces grands personnages se trouvaient des policiers, dont l’un, le commissaire de Tausch, n’était pas le premier venu, puisqu’il n’était rien moins que le chef de la police politique ; — les autres, simples comparses. On se croirait en plein mélodrame des boulevards. Comment des hommes aussi différens se sont-ils trouvés englobés dans la même affaire ? Il est, encore aujourd’hui, presque difficile de l’expliquer clairement. Certains points de l’affaire sont dès maintenant très lumineux ; mais d’autres sont restés obscurs : entre ceux-ci et ceux-là, il y a des lacunes et, pour employer un mot vulgaire, des trous qui ne sont pas comblés.

Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler en deux mots l’origine du procès. On se souvient qu’au moment de sa visite à l’Empereur Guillaume à Breslau, l’empereur Nicolas a prononcé un toast dont deux versions différentes ont circulé. Avait-il dit, en parlant de l’Allemagne, qu’il était animé pour elle des mêmes sentimens que l’empereur Guillaume venait d’exprimer à l’égard de la Russie ; ou bien qu’il était animé des mêmes sentimens que son père ? C’est ce qu’on n’a pas su avec certitude au premier moment, et l’opinion s’est plu à voir entre ces-deux manières de parler une différence dont on a peut-être exagéré la gravité. On a dit que si l’empereur Nicolas n’avait pas pour l’Allemagne d’autres sentimens que son père, cela ne représentait pas au thermomètre politique un degré très élevé, tandis que, s’il éprouvait des sentimens analogues à ceux que Guillaume II venait de professer pour la Russie, on atteignait tout de suite la température de la zone tropicale. Il est aujourd’hui démontré que la version à la glace était inexacte et controuvée. Cependant, un des policiers qui l’a communiquée à la presse a prétendu la tenir de la meilleure main. En même temps, paraissaient dans les journaux des articles où des personnages considérables étaient pris à partie et maltraités dans des conditions telles, qu’on devait croire ces articles inspirés par leurs plus fougueux ennemis. Le