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comte d’Eulenbourg en particulier était l’objet des plus vives attaques. De là le procès. On n’a pas tardé à découvrir que les auteurs directs de ces publications étaient les sieurs Leckert et Lutzow, journalistes de bas étage, le second ancien militaire, peu considérés l’un et l’autre, mais qui assuraient aux journaux avec lesquels ils étaient en relation que leurs articles étaient inspirés en très haut lieu, et qu’ils n’étaient eux-mêmes que des intermédiaires. Le fait est qu’ils avaient des rapports directs ou indirects avec la chancellerie impériale et le ministère des affaires étrangères. Le prince Hohenlohe a reconnu avoir reçu Leckert un matin, à son petit lever, et avoir échangé quelques mots avec lui. Quant au baron de Marschall, il a dit que les relations avec la presse étaient un mal nécessaire, et qu’on ne saurait en restreindre le cercle au-delà de ce qu’on l’avait fait sans nuire aux intérêts de l’État : pourtant, il a affirmé n’avoir jamais connu ni Leckert ni Lutzow. Mais il connaissait Tausch, ou du moins des personnes que Tausch connaissait, et cela a suffi pour établir des apparences dont celui-ci a profité. A mesure que le procès se déroulait, on n’a pas tardé à s’apercevoir que Leckert et Lutzow n’étaient que’des comparses au service de Tausch. C’est lui qui les payait et qui, dès lors, les tenait à sa discrétion. Il leur fournissait des sujets d’articles, il les dirigeait sur tel ou tel journal, il leur ordonnait au besoin de faire des faux : les pauvres diables obéissaient. Qu’était-ce donc que Tausch ? Le président du tribunal a déclaré qu’on l’avait considéré jusqu’ici comme un homme d’honneur. Les journaux font de lui un portrait qui n’a rien que d’avenant ; ses allures sont correctes et sa physionomie très intelligente. C’était enfin un parfait spécimen du fonctionnaire prussien. Mais il appartenait à l’ancien ordre des choses, et était animé d’une antipathie violente contre les hommes qui représentent le nouveau. Il conspirait instinctivement contre eux, et il employait pour cela les plus inavouables procédés de police. On aurait pu le croire, d’après les articles qu’il dictait à Leckert et à Lutzow, l’adversaire déterminé du comte d’Eulenbourg : point ! il prétendait le défendre en l’attaquant. Le comte d’Eulenbourg étant un ami personnel de l’empereur, on espérait que celui-ci finirait par s’émouvoir d’accusations si souvent renouvelées contre un homme qui avait sa confiance. Il demanderait alors d’où venaient ces attaques, il enverrait aux informations, il chercherait à se renseigner. Or, la leçon avait été bien faite aux journaux : on leur avait dit que les articles diffamatoires venaient du ministère des affaires étrangères et nominalement de M. le baron de Marschall. Le but était de perdre à jamais le baron de Marschall dans l’esprit de l’empereur, et de se débarrasser à la fois de lui et de quelques autres. Un policier seul pouvait imaginer des combinaisons aussi louches ; mais qui, toutes tortueuses et immorales qu’elles étaient, n’étaient peut-être pas destinées à rester inefficaces, et il semble bien résulter de ce qui a été