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avoir besoin d’être rappelés. Lorsque le gouvernement égyptien, conseillé et poussé par le gouvernement anglais, a entrepris l’expédition de Dongola, il a demandé à la caisse de la Dette l’autorisation de prélever sur ses réserves, pour être appliquée à cette opération militaire, une somme de 500 000 livres égyptiennes, c’est-à-dire de 13 millions de francs, la livre égyptienne étant à peu de chose près de 26 francs. La majorité de la caisse de la Dette, obéissant, elle, à des préoccupations politiques auxquelles les tribunaux sont restés plus tard étrangers, a autorisé le prélèvement ; mais la minorité, composée des commissaires français et russe, a déclaré que la question n’était pas de sa compétence, qu’elle était essentiellement politique, qu’elle devait dès lors être discutée entre les gouvernemens intéressés et résolue par eux, et les protestataires ne s’étant trouvés que deux contre quatre, se sont retirés afin de ne point participer, même par leur présence, à un acte qu’ils considéraient comme en dehors de leurs pouvoirs.

Cette altitude ne saurait être trop approuvée. Le caractère de la commission de la Dette est assez complexe. Ses membres sont nommés par le gouvernement khédivial après entente avec les puissances, qui en réalité les désignent. Ils sont donc fonctionnaires égyptiens, mais ils n’en conservent pas moins une attache avec leurs gouvernemens d’origine, et s’ils doivent veiller avant tout aux intérêts des créanciers, ils représentent pourtant, dans une certaine mesure, des intérêts d’un autre ordre. La nature des choses le veut ainsi. Un Français devenu commissaire de la Dette reste Français, un Anglais reste Anglais, un Russe reste Russe, et de même pour les autres : lorsqu’une question politique vient à se poser, ils obéissent tous aux instructions de leurs gouvernemens. La sagesse consisterait à leur poser le moins possible de questions de cette espèce. Il serait à coup sûr désirable que la commission de la Dette restât en fait ce qu’elle est en principe, un organe administratif et financier ; mais il faudrait pour cela ne lui soumettre que des affaires financières ou administratives ; dès qu’on l’oblige à se prononcer sur d’autres, on invite en quelque sorte ses membres à se souvenir de leurs nationalités respectives, et à prendre des inspirations en dehors d’eux-mêmes. Comment pourrait-il en être autrement ? Dès lors, toutes sortes de questions subsidiaires apparaissent. Il en est une, par exemple, qui avait été discutée quelquefois, mais qui n’avait jamais été formellement tranchée, à savoir si, pour être valables, les décisions de la commission de la Dette devaient être prises à la majorité, ou à l’unanimité. Si les commissaires sont de simples fonctionnaires égyptiens, la majorité doit suffire ; mais s’ils sont à un degré quelconque, et d’une manière latente, les représentans d’intérêts politiques, l’unanimité devient indispensable. Il serait aussi abusif d’exiger l’unanimité pour tous les votes de la commission, que de ne pas la réclamer pour certains d’entre eux. Malheureusement, la distinction entre les uns et les autres n’a jamais