Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/960

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été faite. Depuis que la commission existe, il n’en était résulté aucun inconvénient sérieux ; on s’était toujours arrangé à l’amiable ; chacun y avait mis du sien ; tout le monde avait senti que le fonctionnement de la commission deviendrait impossible si le veto d’un seul de ses membres suffisait à tout arrêter. Mais il faut ajouter que, pour maintenir cet accord, on s’était abstenu jusqu’ici de soumettre à la commission des questions purement politiques. Le jour où on commettait cette faute, la fiction qu’on s’était appliqué à faire vivre devait fatalement s’évanouir, et c’est ce qui est arrivé. On a pris la commission de la Dette pour une espèce de parlement au petit pied, auquel on demandait de voler des fonds pour l’expédition de Dongola. Aussitôt une scission s’est opérée entre les commissaires. Le russe et le français n’ont voté ni pour ni contre ; ils se sont déclarés incompétens ; ils se sont retirés.

Mais s’ils se refusaient à émettre un vote politique, ils restaient les représentans des créanciers, et, à ce titre, ils ont soutenu devant les tribunaux l’action introduite directement par quelques-uns de ces derniers, en vue de faire reconnaître leur droit sur les réserves de la caisse de la Dette. Ces réserves ont été constituées en 1888 pour leur donner une garantie de plus ; elles leur appartiennent, et ne peuvent pas être détournées de leur destination naturelle. Il est vrai que la commission de la Dette a le droit d’autoriser sur elles des prélèvemens pour faire face à des dépenses extraordinaires, mais on entendait par-là en 1888, à un moment où l’irrégularité de l’inondation du Nil avait causé des dégâts considérables, les moyens de les réparer d’urgence par des travaux dont les créanciers devaient, en somme, profiter. Il n’était entré dans l’esprit de personne que ces prélèvemens pourraient être appliqués un jour à une expédition militaire qui n’avait d’ailleurs rien d’urgent ni d’extraordinaire, ou à telle autre entreprise à laquelle pourrait se laisser entraîner la politique du gouvernement anglo-égyptien. S’il en était autrement, il ne resterait bientôt plus rien des réserves : après un premier prélèvement toléré sur elles, on en ferait un autre, et ainsi de suite jusqu’à complet épuisement. Les créanciers avaient donc raison de protester, et les commissaires russe et français de joindre leur protestation à la leur. Le jugement du tribunal mixte du Caire a été prononcé en leur faveur. Les journaux anglais s’en sont montrés fort étonnés et encore plus mécontens ; mais il ne s’agissait que d’un jugement en première instance, qui serait, ils n’en doutaient pas, réformé en appel. Cette attente, une fois de plus, a été déçue. La Cour d’Alexandrie vient de confirmer le jugement du Caire au profit, non pas des créanciers qui étaient intervenus directement, mais des commissaires de la Dette considérés comme leurs représentans officiels. Au fond, c’est la même chose : les créanciers ont cause gagnée dans la personne des deux commissaires qui ont pris leurs intérêts en main.