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existaient en Amérique : le redoutable problème de l’esclavage ne pèse pas sur elles, et l’on ne trouve pas entre les habitans des diverses colonies australiennes les différences d’esprit et de mœurs qui séparaient il y a cent ans, qui séparent encore aujourd’hui les puritains de la Nouvelle-Angleterre des planteurs de la Virginie et des Carolines. Mais peut-être est-ce précisément la trop grande ressemblance de toutes les parties de l’Australie qui forme l’obstacle : ayant chacune leur port qui est en même temps leur grande ville, leur tête démesurée et orgueilleuse, leurs régions de culture aux abords des côtes, leurs pâturages dans l’intérieur, leurs forêts d’eucalyptus, leurs mines d’or, elles ne sentent point ce besoin de s’unir qu’éprouvent plutôt les nations qui se complètent que celles qui sont trop semblables. Leur petit nombre rend aussi la fédération plus difficile, parce que les plus grandes surtout voient moins l’avantage qu’elles auraient à y adhérer. L’une des causes qui ont le plus contribué à maintenir l’Union américaine est la formation des États intérieurs n’ayant point de débouchés sur les côtes. Si, comme certains hommes le désiraient, les États primitifs avaient conservé, comme leur appartenant, tout leur hinterland, trois ou quatre d’entre eux seraient devenus bientôt démesurément puissans et leur rivalité aurait fatalement abouti à la dislocation de l’Union. Or, en Australie, il ne saurait exister d’Etats intérieurs à cause de l’infériorité de la fécondité du sol quand on s’éloigne de la mer. L’île-continent sera toujours partagée entre une couronne de communautés s’ouvrant largement sur la mer, agglomérant leur population sur la périphérie, tandis que le centre restera vide, et beaucoup plus indépendantes ainsi les unes des autres que ne le sont les composans de l’Union américaine. Ce sera toujours une cause de faiblesse pour la Confédération australienne.

Enfin, ce sont les individus surtout qui font l’histoire, quoi qu’en dise une certaine école, et non pas les masses à demi conscientes qui peuvent détruire quelquefois, mais non pas créer. S’il surgissait donc en Australie un homme auquel pussent s’appliquer au moins les deux derniers termes de l’inscription gravée sur le socle de la statue de Washington dans la capitale des États-Unis : First in war, first in peace, first in the heart of his countrymen, l’ascendant d’un pareil homme pourrait sans doute réaliser la fédération. Mais le terrain n’est guère favorable à son développement, reconnaissons-le. La démocratie australienne manque de ces autorités sociales qui existaient en grand nombre dans