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société qui, s’appropriant cette phrase de saint Paul, se puisse définir en la prononçant ; cette hypothèse sera adéquate à l’idéal de M. Stoecker. Par surcroît, il aime passionnément son pays, d’un patriotisme qui est comme l’expression concrète de ses idées théocratiques ; il aperçoit l’Allemagne en Dieu et il aperçoit Dieu dans l’Allemagne, et caresse je ne sais quelles intuitions mystiques qui lui révèlent la fraternité du germanisme et du christianisme. Or lorsque M. Stoecker, en 1877, cessait de regarder en sa pensée, miroir d’avenir ou d’un irrévocable passé, pour regarder autour de lui, il voyait deux impiétés se disputant l’Etat, l’impiété du « libéralisme » en haut et l’impiété du socialisme en bas, le christianisme bafoué d’un côté, maudit de l’autre, et discrètement relégué par l’Eglise évangélique dans des temples à peu près vides. Alors, avec cette témérité d’initiative que provoque brusquement, chez les hommes d’action, la divergence du spectacle et du songe, Adolphe Stoecker, âgé de quarante-deux ans, et qui pouvait vivre tranquille, considéré, en se laissant choyer par la cour, voulut faire aux masses, partout où il les pourrait saisir, la présentation du christianisme. Mais un théocrate ne peut présenter le christianisme qu’avec un programme social, et l’apôtre, alors, engendre tout de suite le tribun. C’est là ce qu’il faut bien comprendre, pour épargner à M. Stoecker cette insinuation malveillante qu’il n’aurait « fait du socialisme », comme l’on dit vulgairement, que pour faire passer le christianisme. Il est vrai de dire que le christianisme était au premier plan dans la pensée de M. Stoecker ; et il est vrai de maintenir, aussi, que ses idées sociales n’en étaient point un appendice, ni surtout un passeport ; elles étaient pour lui le christianisme même ; et lui demander s’il était, avant tout, chrétien ou bien « social », c’était lui adresser une question inintelligible pour un cerveau comme le sien.

Le 3 janvier 1878, des affiches constellant les murs de Berlin annonçaient une réunion dans une taverne pour la formation d’un « parti chrétien-social de travailleurs ». Un millier de socialistes accoururent et composèrent le bureau. A peu près seul avec son rêve, Adolphe Stoecker le développa : accoutumé de planer en chaire par-dessus des têtes qui se courbaient, il avait devant lui l’ennemi, pour la première fois ; et la sensation de ces contacts hostiles creusa plus à fond, sur sa mâchoire, ce pli naturellement agressif, qui trahit en lui l’homme de lutte, invincible lors même que vaincu, et que se rappellent, comme une sorte d’attribut