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mauvaise grâce, ajoutant nonchalamment qu’il allait répondre à cette note, qu’elle était terriblement longue et que ce serait fort ennuyeux. « La France, ajouta-t-il, m’a déjà fait dire les mêmes choses plus tôt et mieux. » Pour la première fois, le grand empereur, le dominateur obéi s’arrêtait devant une résistance. L’Europe en fut stupéfaite ; et elle commença à regarder et à écouter du côté de Paris.

On comprendra dès lors le désappointement et le dépit du Prince, quand il apprit que les trois cardinaux, envoyés par le Pape pour prendre possession en son nom du gouvernement temporel, poursuivaient, sous la protection de notre drapeau, la même réaction de vengeances, de procès, d’inexorabilités contre laquelle nous protestions dans les pays qui n’étaient pas soumis à notre influence directe ; qu’ils rétablissaient les coutumes policières de l’ancien temps ; rouvraient le tribunal de l’inquisition ; remettaient en vigueur la bastonnade dans les prisons ; arrêtaient les suspects, commençaient des poursuites sévères, annonçaient des vengeances, abolissaient les franchises constitutionnelles et le statut, et, ne gardant aucun égard, affectaient de ne pas même mentionner la France dans les remerciemens adressés à l’Europe.

Tocqueville protesta vigoureusement contre cette conduite, que semblaient encourager l’indolence presque complaisante du général Oudinot et les illusions généreuses, mais trop faciles, de Corcelles. « A aucun prix, écrivait-il à celui-ci, à aucun prix des procès politiques sur le territoire que nous occupons et surtout pas d’exécutions à l’ombre de notre drapeau ! Nous serions déshonorés dans le monde (2 août). » Falloux lui-même pressait de ses avertissemens la Nonciature : « Prenez garde, vous jouez avec le feu. Modérez-vous. »

Le Pape répondait avec une ironie paisible : « Vous autres Français, vous êtes toujours trop pressés, laissez-nous le temps ! » Et ses cardinaux, le triumvirat rouge, comme on les appelait, continuaient leur office. L’idée qu’aux yeux de l’Europe et de l’Italie il paraîtrait un auxiliaire de l’Autriche, un séide de la sainte alliance, un oppresseur de cette Italie à laquelle son cœur était dévoué, troublait chaque jour davantage le Président. Sans doute ses ministres protestaient avec dignité dans leurs dépêches. Mais qui lisait ces dépêches ? l’opinion publique les ignorait. Il résolut de se dégager par des actes publics, de dégager notre pays, notre