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possible. Pour faire de la liberté, il faut des libéraux. Or il n’y en avait pas à Rome. Ceux qui l’avaient été se cachaient au fond de leurs demeures. Epouvantés, ils demandaient aux agens français, désireux de les entretenir, de les faire mander par des gendarmes afin qu’ils parussent céder à la contrainte. Quant aux unitaires, aucune concession ne les eût attirés, puisque la seule réforme qu’ils poursuivaient sous le nom de liberté, c’était le renversement du pouvoir pontifical.

Pie IX ne pouvait donc pas, et en outre il ne voulait pas. Sa tentative libérale lui avait laissé un souvenir d’horreur. Bourrelé de remords, il se considérait comme coupable d’avoir compromis l’Eglise ; et il n’avait plus qu’une pensée, qu’une passion : effacer jusqu’au moindre vestige de ses innovations téméraires. Lui proposer de les reprendre, c’était lui demander de trahir son devoir, de renier sa foi, d’exposer le salut de son âme[1].

Pie IX avait raison de ne pas vouloir. La Papauté hors de chez elle, peut-être, a été, suivant les nécessités du temps, républicaine, démocrate, sociologue, si ce n’est socialiste ; à Rome elle ne peut être que théocratique. La liberté politique, dans n’importe quelle mesure, sous quelque forme que ce soit est incompatible avec le Principat ecclésiastique du vicaire de Jésus-Christ. On ne conçoit pas un monarque constitutionnel, à la façon de Louis-Philippe, accolé à un pontife infaillible, et des ministres responsables marchant de pair avec des cardinaux, ces sénateurs de la catholicité. Le cardinal Pacca, à propos des doctrines de l’Avenir, sur la liberté des cultes et la liberté de la Presse, ces parties essentielles de tout régime libéral, écrivait à Lamennais : « Ces doctrines ont beaucoup étonné et affligé le Saint-Père, car si, dans certaines circonstances, la prudence exige de les tolérer comme un moindre mal, elles ne peuvent jamais être présentées par un catholique comme un bien ou une chose désirable. » Or si un pape se résigne, parfois, chez les autres, à un moindre mal, chez lui, il est en conscience obligé de n’établir que ce qui en soi est bien et désirable ; de n’admettre ni la liberté des cultes, ni celle de la presse ; et d’employer la force de son bras séculier à assurer le respect des décrets de son autorité pontificale.

La lettre à Edgar Ney ne détourna pas Pie IX de ces pensées. Elle lui conseillait, afin de n’être pas jeté par la fenêtre, de s’y

  1. Papiers du maréchal Vaillant.