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POÉSIE

I

ÉLÉGIE

C’était un soir de grâce et de mansuétude
Où l’Amour sur les yeux baise la Solitude.
Dans l’ombre, une idéale haleine de printemps
Passait, comme un soupir, sous les manteaux flottants.
De jardins en jardins ici la Ville bleue
Au fond du crépuscule expirait en banlieue…
La pluie intermittente et tiède des beaux soirs
Avait légèrement mouillé les pavés noirs.
L’avenue était sombre, odorante, et déserte…
Les bras nus, et sa robe à la brise entrouverte,
La Nuit pâle, en rêvant, respirait des lilas ;
Et la terre était douce et fondait sous les pas.
Jetant vers le voyage un appel symbolique,
Parfois un train lointain sifflait, mélancolique ;
Et des ombres passaient, lentes et parlant bas,
Pendant que les grands chiens pleuraient dans les villas.
Soudain d’un pavillon, qu’entourait le mystère,
J’entendis s’élever une voix solitaire
Qui vibrait dans le soir comme un beau violon ;
Et, me penchant un peu, dans un noble salon
Où flottait un passé d’Eloas et d’Elvires,
Je vis, à la lueur vacillante des cires,
Un visage de marbre avec de lourds bandeaux,
Et de grands yeux brillants de larmes aux flambeaux.