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REVUE DES DEUX MONDES


Anxieux, j’écoutai : la voix ardente et sombre
S’en allait si blessée, et si triste dans l’ombre,
Oh ! si divinement triste, que l’on eût dit
Une larme sur le visage de la Nuit !…
Jamais rien n’atteindra, pour émouvoir notre âme,
Le charme surhumain de la voix d’une femme
Qui, sur l’ivoire pâle où flotte son bras nu,
Raconte au vent nocturne un amour inconnu…

Quel secret disiez-vous, et quel mal sans remède,
Larges gouttes d’amour tombant dans la nuit tiède,
Sanglots d’un cœur, que rien ne peut plus contenir,
Et qui cède, chargé de trop de souvenir !
L’âme de l’inconnue expirait sur sa lèvre ;
Ses yeux, ses grands yeux noirs charbonnés par la fièvre
Exagéraient encor sa hautaine pâleur ;
Et sa voix, qui semblait faite pour la douleur,
Exhalait toute, avec ses cordes épuisées,
L’infini de douceur qu’ont les choses brisées…

Je l’écoutais, mêlée à l’odeur des jardins,
Au grand silence ému de roulements lointains,
Aux diamants de l’ombre, aux brises moelleuses,
Au ciel tendre où coulait le lait des nébuleuses,
Et je sentais, saisi d’un trouble grandissant,
Par degrés s’en aller vers elle, en frémissant,
Tout ce qui flotte en nous par de telles soirées
De tendresse ineffable et de pitiés sacrées.
Ô toi qui, ce soir-là, répandais ton ennui
Comme une essence d’or sur les pieds de la Nuit,
Qui te dira jamais qu’à tes côtés perdue,
Mon âme t’adorait pour ta plainte entendue,
Et, parmi l’ombre douce et les lilas en fleur,
Appuyait, en tremblant, ses lèvres sur ton cœur.

II

FORÊTS

Vastes Forêts, Forêts magnifiques et fortes,
Quel infaillible instinct nous ramène toujours