de Gogol, les personnages du roman russe moderne appartiennent tous à la classe moyenne. Les gildes moscovites forment le gros de cette garde nationale ; elles fournissent à la Russie un ban puissant de familles marchandes qui seront bientôt placées dans la nation comme l’étaient chez nous les familles parlementaires ; elles donnent à Moscou, par opposition à Pétersbourg, ville officielle, aristocratique, européenne, un caractère bourgeois et proprement russe. Il existe enfin entre les deux grands centres un contraste sensible, pareil à celui qui les différenciait l’un de l’autre au siècle dernier ; on disait alors que la scène était à Pétersbourg et que le public était à Moscou.
À mesure que ce tiers-état se développe, il s’élève aussi dans la culture et la dignité. Ce n’est plus que dans la troisième gilde qu’on retrouve encore l’ancien type du marchand moscovite, être sédentaire, enveloppé d’un caftan, triste dans sa longue barbe, buvant du thé, poussant ses boules et craignant Dieu. Plus d’un citoyen honorable, relevant un titre créé par Catherine alors qu’elle réformait la charte marchande de 1720, rehausse ce titre par tout le prix de son mérite personnel. Ceux-là, vêtus à la mode de Londres, courent la ville en quête de nobles entreprises. Art, science, littérature, œuvres intellectuelles, œuvres philanthropiques, tentent ces bons riches et passionnent ces zélés travailleurs. Abrikossof publie le recueil : Questions de psychologie et de philosophie ; Alexéief se fait artiste dramatique sous le pseudonyme de Stanislavski et rêve d’appeler a sa scène populaire la masse ignorante. Les Bakrouchine ont bâti le théâtre Korche, collectionné les documens relatifs à l’histoire de la comédie russe ; leurs corroieries infectant les eaux de la Moskva, ils paient rançon en dotant la ville d’un hôpital. Morozof construit des cliniques au Dêvitchié pole. Popof, outre ses thés, rapporte de Chine des Bouddhas et crée un musée de religions. Les Botkine se vouent à la science médicale. Roukavichnikof bâtit un asile pour les jeunes vagabonds. Soldationkof est éditeur. Les Tretiakof composent pour eux-mêmes, puis ouvrent au public cette précieuse galerie où se peut lire toute la courte histoire de la peinture russe. C’est ainsi qu’un type moderne vraiment original et simplement noble se multiplie dans Moscou : on attend encore l’Ostrovski dont la plume dessinera ce caractère en traits définitifs.
Alors que le commerce demeure tout entier aux mains moscovites, la haute industrie est pour une part livrée aux