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manuscrits, dans ces broderies traditionnelles que les babas des villages répètent depuis mille ans, de même Glinka emprunte à la chanson populaire cet élément national, chœurs ou danses, qu’il entrelace a sa trame artistique. Son génie, qui flotte quelquefois dans le doute et la grâce, a ceci de russe qu’il aime les éclats subits, les larges explosions de sentiment, éteintes tout à coup par les accès d’une mélancolie douce et comme naturelle.

Au premier acte, le thème national chanté à l’unisson marque par un large crescendo l’approche de la barque où Sabinine est debout ; la scène intéresse, mais ce n’est enfin que l’entrée du ténor. Au contraire, on vibre à ce finale enthousiaste où les voix du peuple, les sons des instrumens, les volées des cloches chantent hosanna au nouveau tsar : le décor représente la Place Rouge ; un éclatant cortège impérial traverse la scène comme pour entrer au Kremlin. Cette impression est grande, mais quand le rideau tombe et que l’assistance entière se tourne avec des hourrahs vers l’Empereur debout dans sa loge, c’est une émotion plus forte encore, et telle que pas une musique ne la traduira. L’art ne saurait nous servir en ces jours-ci que d’agrément et de passe-temps ; il ne peut qu’orner une fête, régler un divertissement de cour ; la vie intérieure que nous vivons dépasse l’art de beaucoup.

Le bal de l’ambassade de France marque l’échéance capitale de cette semaine. Outre que c’est le seul bal étranger donné en dehors des trois bals nationaux qui suivront, le fait seul qu’il est un festival français en terre russe éveille assez de curiosités, de désirs, d’impatiences et de dépits, pour qu’on nomme cette soirée un événement véritable dans la série des épisodes diplomatiques et mondains.

Tandis que la cour s’installait au quartier général du Kremlin, les ambassades s’établissaient dans la ville en cantonnement ; la nôtre occupe le club des Chasseurs. Mais de ce club il n’est plus question, tant les tapis, les sièges et les tentures de France, répandus à profusion dans ces salles, en ont corrigé le caractère et changé les proportions. Tous ces meubles datant de Louis XIV, telle aurait pu être ici même l’ambassade française aux temps d’Alexis Mikhaïlovitch, si notre représentation d’alors n’eût été plus mince et proportionnée à l’importance européenne de l’État moscovite.

Rien ne prouve non plus, à l’examen, que cette installation