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d’hier ne soit pas en place depuis deux cents ans. Deux longues pièces occupent ensemble toute l’étendue de la façade ; à droite de l’antichambre, c’est la salle à manger ; à gauche le salon, et là, dans les panneaux, de merveilleuses tapisseries des Gobelins, les tableaux célèbres de l’histoire de Don Quichotte, de rares fauteuils de Beauvais ; au fond, une fontaine lumineuse changeante et chantante au milieu des fleurs. Une porte donne à droite dans la salle de bal, — c’était la salle de spectacle du club ; — l’emplacement plus étroit qui servait de scène est ingénieusement arrangé en une sorte de bocage ; deux corbeilles symétriques logent dans les deux angles, d’une part l’orchestre, de l’autre un groupe de chanteurs vêtus dans le style moscovite ancien. Puis, un salon carré, que double une construction de circonstance prélevée sur l’étendue d’une cour intérieure, puis un autre de dimensions pareilles, décoré d’immenses tableaux des Gobelins ; et l’on se retrouve enfin par un à droite dans la salle à manger.

À cette fête pour laquelle la France prête son palais d’un soir, ses richesses d’autrefois, sa langue éternelle, la cour russe vient donner le ton. Le quadrille des souverains ouvre le bal ; c’est un instant de pompe et de solennité qui s’achève bientôt en heures de grâce et de gaieté. L’Impératrice s’est assise ; l’Empereur, avec deux des grands-ducs, passe dans le salon et se mêle à la foule. Peu à peu, les personnes qui se sentaient ici le plus étrangères ont cédé la place ; l’espace s’est agrandi autour des valseurs ; des chevaliers-gardes, qui défendaient tout à l’heure avec vigilance ce terrain de la danse, n’ont maintenant plus rien à faire et dansent à leur tour. Les fleurs étant ce qu’on peut donner aux reines, on distribue des fleurs et des fleurs encore : fleurs de Moscou, mais qu’on croirait cueillies à Nice et bouquetées à Paris, elles propagent dans l’assemblée un mouvement d’animation et de désir. Le prince de Reuss fait un fort joli saut pour prendre dans la corbeille élevée sur la tête d’un chevalier-garde, une gerbe qu’il offre à la princesse de Roumanie. Puis le chœur qui recommence jette sur le tableau la couleur locale ; vêtu de pâles étoffes et de lumière aussi, car une ardente lampe électrique l’inonde d’une clarté d’aube ou de lune, il récite de vieux chants propres à Moscou, distincts de tout ce que les traditions musicales ont conservé ailleurs.

Ainsi le temps qui passe en musique, en chansons, sonne déjà l’heure du souper. Leurs Majestés et les princes prennent place