article ou tel roman sont des actes cent fois pires qu’un viol ou un assassinat, car ils en feront commettre une série. Par malheur, le journal est aujourd’hui, dit M. Bonzon, « le soutien des gouvernemens, comme le marchand de vin est le grand électeur. Quiconque les mécontente y trouve sa perte ; et c’est pourquoi ni contre l’alcoolisme, ni contre la pornographie, le gouvernement, quel qu’il soit, ne songe à engager la lutte ». Ainsi les intérêts moraux du pays se trouvent sacrifiés à des intérêts de secte politique ; périsse la France plutôt que notre parti !
Il n’y va pas seulement de notre moralité, mais de l’honneur de notre pays. Toute une littérature, qui ne craint pas de s’en glorifier, nous fait juger par les étrangers bien pires que nous ne sommes. Michelet disait déjà, en parlant de certaines publications, immorales pour son époque, et qui paraîtraient bien idylliques à la nôtre : « Le monde a reçu ces livres comme un jugement terrible de la France sur elle-même… La France a cela de grave contre elle, qu’elle se montre nue aux nations. Les autres, en quelque sorte, restent vêtues, habillées… Cette manie singulière de se dénigrer soi-même, détaler ses plaies et d’aller chercher la honte serait mortelle à la longue. » En 1892, un journaliste allemand, Arthur Mennell, disait de nous avec ironie : « Les bonnes gens oublient toujours qu’ils ont le dangereux privilège d’être lus par le monde entier ; et pour cette raison même, ils oublient que, dans les choses de la politique ou des mœurs, ils sont leurs ennemis les plus terribles. »
La complète liberté politique, scientifique et religieuse de la presse ne saurait entraîner ni le droit de diffamation, ni le droit d’excitation aux crimes ou délits punis par la loi, ni le droit de publications pornographiques. Il est impossible d’admettre que la presse populaire, en particulier, — le journal à un sou, avec son supplément à un sou, — qui s’adresse même aux jeunes filles des classes pauvres, ne soit pas soumise à des conditions toutes spéciales encore de moralité et de responsabilité. Il n’y a pas de raison pour réglementer les théâtres forains, où ne peuvent entrer que quelques centaines de personnes, et pour laisser toute licence à ces théâtres dans un fauteuil ou dans une chaise qui s’adressent d’un seul coup à des centaines de milliers de lecteurs. Est-ce donc parce que l’action de la presse est plus considérable et, encore une fois, plus collective, qu’elle doit rester plus impunie, comme si on punissait le meurtre d’un homme par un coup de