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sont identiques. Musset s’est contenté de transcrire une phrase qui lui semblait bien venue et qui à coup sûr n’est pas déplacée dans une comédie toute de souvenir. Cela lui semble tout naturel et sa correspondante n’a certes pas été tentée de réclamer. De bonne heure cette idée leur est venue à tous deux qu’ils se préparaient une riche matière pour les livres de demain, et que les larmes qu’ils étaient en train de verser, les soupçons, les trahisons, les ruptures, toutes ces tortures endurées, toutes ces souffrances vécues, ce serait un jour de la copie toute prête. Entre une scène de violence et un raccommodement ils se promettent d’écrire le roman de leur amour. Déjà dans la première des Lettres d’un voyageur George Sand avait raconté la séparation de Venise ; et la nécessité de tirer parti de leurs aventures dans l’intérêt de leur métier lui apparaît si clairement qu’en donnant à Musset des nouvelles de Jacques elle éprouve le besoin de l’avertir que ce n’est l’histoire d’aucun d’eux. C’est Musset qui est le plus séduit par l’idée de revivre dans un récit fictif toutes les phases de leur liaison. « Je m’en vais faire un roman. J’ai bien envie d’écrire notre histoire. Il me semble que cela me guérirait et m’élèverait le cœur. Je voudrais te bâtir un autel, fût-ce avec mes os. » Il s’exalte en y songeant et voit leur place à tous deux marquée parmi les amans « consacrés » par la littérature. « Non, ma belle, ma sainte fiancée, tu ne te coucheras pas dans cette froide terre, sans qu’elle sache qui elle a porté. Non, non, j’en jure par ma jeunesse et par mon génie… La postérité répétera nos noms comme ceux de ces amans immortels qui n’en ont plus qu’un à eux deux, comme Roméo et Juliette, comme Héloïse et Abélard. » Ce projet devint la Confession d’un enfant du siècle dont les trois dernières parties constituent une autobiographie aussi exacte qu’il était possible ; on devine assez, à travers cette lecture décevante et lassante et qui agit sur les nerfs, la torture réciproque que s’infligèrent deux êtres habiles à se tourmenter, pareillement incapables de se supporter et de renoncer à leur supplice. Elles ont conservé leur intérêt de document ; elles restent comme l’étude d’un « cas », comme un chapitre de psychologie morbide et de marivaudage forcené. George Sand en lisant ces pages où revivaient des faits si récens en fut émue jusqu’aux larmes. Elle pouvait d’autant plus être touchée et s’abandonner au charme pénétrant de la tristesse, que Musset avait tenu parole et pris pour lui tous les torts. Il n’y avait dans son récit pas trace de la trahison matérielle et Brigitte n’y était plus que l’innocente victime d’un libertin.

Même version dans Elle et Lui. On est en 1859, vingt-cinq ans après les événemens, vingt mois après la mort de Musset ; pour répondre à