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d’un incident qui est passé presque inaperçu en France, mais dont on a beaucoup parlé ailleurs.

Le moyen auquel on avait songé d’abord était en apparence le plus simple de tous : il consistait à introduire un membre russe dans le Conseil d’administration de la Dette ottomane. Il paraissait même si naturel qu’au cours des conversations de M. Hanotaux avec M. Chichkine, et, dit-on, avec l’empereur Nicolas, la suggestion qui en avait été faite avait été tout de suite et très favorablement accueillie. Dans ces conditions, le problème était résolu. La nomination d’un conseiller russe donnait un caractère international au Conseil de la Dette qui n’est, en somme, jusqu’à ce jour qu’une institution ottomane, et un pas de plus était fait dans l’européanisation de toutes les affaires d’Orient. Que s’est-il passé ensuite ? On a dit, mais nous ne le répétons que sous d’expresses réserves, qu’à son retour à Saint-Pétersbourg, l’empereur avait entendu les respectueuses représentations de quelques-uns de ses conseillers, notamment de son ministre des finances, M. Witte, et de son ambassadeur à Constantinople, M. de Nélidof, et qu’il en avait tenu compte. Il n’est pas très difficile de deviner les motifs de ces divergences de vues. C’est, pour la Russie, une tradition et presque un axiome politique de ne pas s’immiscer directement dans les affaires intérieures de l’Empire ottoman, de les traiter en quelque sorte du dehors, et de rester elle-même indépendante, toutes les fois qu’elle le peut, des combinaisons auxquelles les autres puissances prennent part plus volontiers, au risque d’y contracter de certains engagemens. Elle préfère garder son quant-à-soi, non pas pour s’abstenir dans les momens décisifs, mais pour conserver la pleine liberté de son action éventuelle, en choisissant son moment et ses moyens. Entrer dans le Conseil d’administration de la Dette aurait donc été de sa part une attitude nouvelle, et d’autant plus anormale à ses yeux que, nous l’avons dit, elle n’a pas de valeurs turques. La Russie, en tant qu’État, a une créance contre la Porte, nous voulons parler de l’indemnité de guerre imposée à celle-ci au Congrès de Berlin, et qui n’a jamais été payée que d’une manière partielle et intermittente ; mais c’est une créance d’un genre spécial, subordonnée aux facultés dont la Turquie peut disposer à l’égard de ses créanciers ordinaires restés privilégiés, et qui représente par conséquent un intérêt pour le moins distinct du leur. Il y avait là des motifs suffisans pour amener, de la part du gouvernement russe, une certaine hésitation dans l’exécution du projet qu’il avait d’abord accepté, et l’affaire est demeurée en suspens. Les choses en sont là. On n’a