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objets frappent le regard : un modèle de croiseur, une culasse de canon, une immense carte de Cuba. D’un bout à l’autre de ce corps, à l’ordinaire un peu inerte, on sent agir une énergie, vouloir une volonté, vivre une vie qu’on ne lui connaissait plus : l’Espagne, de Saint-Sébastien à Cadix, se tend et regarde par delà l’Océan, en un grand mouvement d’espérance impatiente.


I

Les raisons ne manquent pas, elles abondent pour que le problème colonial, et particulièrement le problème cubain, prenne dans les préoccupations de l’Espagne une importance capitale. Ce ne sont pas toutes des raisons historiques ou de sentiment ; il y en a de géographiques, de politiques et d’économiques, qui sont loin d’être dépourvues de valeur.

La raison historique, on l’a déjà donnée : par les Philippines et Cuba, l’Espagne garde un coin d’Orient et un coin d’Occident, dernier reste du royal manteau que durant des siècles elle traîna derrière elle, et qui couvrait la moitié de la terre. Raison de sentiment, si l’on veut : l’Espagne aime Cuba, ou elle s’aime en Cuba, elle, ses victoires, ses conquêtes et sa splendeur anciennes : ne l’aimât-elle que pour cela, elle l’aime par orgueil castillan. Mais, outre ces raisons qui viennent de loin et que des peuples à l’esprit trop positif comprennent mal, sa résolution à défendre Cuba repose sur des considérations moins détachées d’un intérêt présent.

Il y entre, d’abord, une pensée politique. Le malheur des temps, impitoyables pour elle, dix révolutions, dix guerres civiles en Amérique et en Europe, la ruine de son empire et le dépérissement de ses ressources, ses nécessités intérieures l’ont condamnée à une sorte de retraite. M. Canovas del Castillo le disait au Congrès voilà près de vingt ans[1] :

« Les nations ont à exprimer leur avis dans le monde pour l’un ou l’autre de ces deux motifs : si elles ont en jeu un intérêt immédiat, réel, visible à tous ; ou si elles occupent en Europe une place parmi les grandes puissances qui forment une espèce de tribunal suprême ou de jury international. Nous n’appartenons pas à ce grand jury européen et, ne lui appartenant pas, nous

  1. Discours sur le message, 28 février 1878.