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Je lui demandai ce qu’elle avait — et elle me dit en soupirant : « Comment voulez-vous que je ne pleure pas ? — puisqu’on m’emmène mon enfant.

À lutter contre les rebelles — et que ce qui doit arriver, — c’est que, le fils de mes entrailles, — je ne puisse plus l’embrasser jamais[1] ! »


Mais toujours aussi, et dans toutes les chansons, par-dessus les sanglots des mères, s’élève un chœur de voix viriles :


Mort à l’insurrection
Et vive Cuba espagnole !


Le sentiment espagnol a fait des merveilles, dont celle-ci est la moins merveilleuse, que l’Espagne ait tiré d’elle-même 220 000 hommes pour les envoyer à Cuba. La ferme et claire volonté de M. Cánovas del Castillo a passé en elle : elle a condensé les volontés éparses, précisé les volontés flottantes de la nation, leur a tracé une ligne, leur a donné une forme et un corps. M. Canovas a eu le bonheur de rencontrer un ministre de la guerre, le général Azcárraga, laborieux, ordonné, doué à un point éminent des qualités de l’organisateur : et cette armée qui n’avait que de vieux canons et de vieux fusils a reçu, devant l’ennemi, en pleine guerre, un armement nouveau. Par les soins de ce ministre et du ministre de la marine, 220 000 hommes ont pu être transportés à quinze cents lieues de la péninsule, et — ce n’est pas de cela que l’Espagne est le moins fière — rien que sur des navires espagnols.

Mais il y a plus merveilleux encore : ce n’est pas que des veines de l’Espagne le patriotisme ait pu faire sortir un flot de sang généreux, ni même lui donner un emploi utile et réglé, l’emploi nécessaire, dans l’instant nécessaire : mais c’est qu’il en a fait sortir un flot d’argent. M. Canovas savait où il frappait, lorsque, trouvant, à l’extérieur, les bourses closes, il a frappé au cœur de son pays. Il avait besoin de 400 millions ; il en demandait 250 ; on lui en a apporté près de 600. Et les gens de finance peuvent bien donner de ce fait toutes les explications et faire, à ce sujet, toutes les réserves qu’ils voudront. Les banques ont souscrit ; les chambres de commerce ont souscrit ; les riches ont souscrit ; les petits bourgeois ont souscrit ; conservateurs, libéraux, républicains, carlistes ont souscrit ; les évêques ont offert le trésor des églises… Si ce qui fait une nation, c’est de penser d’une commune

  1. Soldados para Çuba, Bonitas canciones dedicadas al valiente ejercito español. Primera parte.