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tors et de brillant qui coule sur le sentier : un petit ruisseau d’argent qui se glisse entre les herbes, un corps annelé « qui rame sur la terre avec chaque anneau pour rame : une vague, mais sans vent, un courant, mais sans chute. Pourquoi cette horreur qui nous prend devant cet être, quand nous savons qu’il y a plus de poison dans une mare ou un égout mal tenu que dans le plus terrible aspic du Nil? » Ou bien, s’il y aurait quelque obscur rapport entre les formes du serpent et une idée du mal qui dormirait au fond de nous-mêmes... Pourquoi, au contraire, ce plaisir au rapide et radieux passage d’ailes empourprées qui ne nous servent de rien et dont toutes les couleurs nous seront moins utiles que la chair grise et terne des volailles? Pourquoi ce tressaillement de joie libre et fière au souple et fin mouvement des jambes du cheval? Le locomobile ne les a pas et nous mène plus vite où nous voulons aller...

Ces choses, dira-t-on, n’attirent point également l’attention ni ne font également le bonheur de tous les êtres. — Sans doute, et il y a là en elles et en nous un mystère de plus. Serait-ce que ces impressions et leurs contre-coups sur les actions des êtres n’existent point? ou ne serait-ce pas, qu’existant plus ou moins, elles constituent entre ces êtres une hiérarchie et au besoin une classification qu’on n’a pas encore déterminées ? Comment se fait-il que devant les mêmes montagnes bleues dressées au bout de l’horizon comme des vagues immobilisées par la baguette d’un Enchanteur, un homme s’émeuve et s’arrête et qu’un autre être continue, indifférent, son chemin ? Tout ce qui a des yeux ne verrait-il pas de même ? Y aurait-il d’autres différences entre les espèces que celles dont les biologistes nous ont avertis? « Ils nous disent bien quelle infinie variété d’instrumens oculaires possèdent les créatures fourmillant sur ce globe ; ils nous disent comment ces instrumens sont construits et dirigés, comment les uns jouent dans leurs orbites avec des mouvemens indépendans, comment d’autres font saillie, en une myopie, sur des pyramides d’os — ou sont brandis au bout de cornes, ou semés sur le dos et les épaules, ou poussés au bout d’antennes pour explorer la route en avant de la tête — ou pressés en tubercules aux coins des lèvres... Mais comment toutes ces créatures voient-elles avec tous ces yeux? » Quand vous regardez un serpent se déroulant de ses couvertures, ou posé sur une branche comme un paquet de cordages, ou aplatissant contre la vitre des muséums le galbe rond