L’ouvrier américain a le mérite de comprendre cette loi, de l’accepter et, bien que les syndicats, en restreignant la production, aient été conduits dès l’origine à réduire leur personnel, ils se voient pourtant fort peu attaqués par la foule des travailleurs. Les trusté n’ont pas cherché à opprimer les ouvriers, sachant trop bien à quelles fortes organisations ils auraient eu affaire, et n’osant pas braver ici le sentiment public. Qu’ils aient haussé le prix de la main-d’œuvre, qu’ils aient réduit la durée du temps de travail, c’est leur prétention, et c’est à la vérité le résultat qu’ils ont pu obtenir en certaines circonstances. Mais à prendre les choses d’ensemble, les ouvriers n’ont pas encore reçu d’eux un accroissement de richesse, et le seul bénéfice qu’ils en aient retiré, c’est celui d’un état de choses plus stable et plus sûr. D’autre part, dans chaque branche de production, les travailleurs sont tombés plus étroitement sous la dépendance de l’employeur unique, le trust; et, aujourd’hui syndicats industriels et syndicats ouvriers, aussi solides, aussi fortement constitués les uns que les autres, se dressent face à face et tête haute, non pas menaçans, mais consciens du moins de leurs droits comme de leurs devoirs, et prêts à la guerre pour mieux garder la paix.
Plus que les abus de pouvoir, plus que tous les actes d’oppression, ce qui a déchaîné surtout les passions populaires contre le mouvement général de la centralisation industrielle en Amérique, ce sont les gros profits réalisés par les trusts. Ceux-ci ont bien essayé de dissimuler leurs bénéfices sous l’inflation apparente de leur capital; personne n’ignore cependant que les dividendes annuels du Sugar trust et du Standard oil trust atteignent jusqu’à 20 et 25 pour 100 du capital effectif. Les énormes revenus des grands syndicats ne sont pas niables, ni les spéculations auxquelles se sont livrés bon nombre d’entre eux, ni les pouvoirs exceptionnels qu’ils exercent dans la société moderne et dont ils lui doivent compte. Reconnaissons d’ailleurs les avantages matériels que retire le pays entier de la forme d’industrie dont les trusts sont la manifestation la plus complète : l’association régularise la production et prévient les crises ; elle réalise, en abaissant les prix de revient, une économie notable à l’actif de la communauté; seule elle donne la fixité aux cours des denrées, seule elle peut accomplir certaines œuvres coûteuses et à longue échéance, que des entreprises isolées et rivales ne sont pas capables de mener à bien. Quant aux drawbacks du régime, nul ne songera