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remède à Constantinople, mais seulement quand la banqueroute a frappé à la porte de l’Empire ; quand on a été contraint de donner des garanties aux prêteurs ingénus qui avaient souscrit aux emprunts contractés en Europe ; quand tous les marchés financiers ont été fermés à la Turquie qui, obérée, est obligée aujourd’hui de fournir des gages spéciaux pour obtenir de minimes avances, si bien qu’elle n’a plus la libre disposition de la plupart de ses revenus, tandis qu’en Égypte, la prospérité, due à la puissante impulsion de Mehemet-Ali, un moment compromise par des successeurs inconsciens, lui a survécu et se maintient à tous les degrés.

C’est qu’en Égypte, il existait un maître libre d’imposer sa volonté, résolu à faire respecter ses ordres, exerçant son autorité sur une population sans mélange, habituée à une soumission plusieurs fois séculaire, croyante, mais résignée.

Le sultan est-il en possession d’une égale liberté ? N’est-il pas dans la nécessité de compter avec les passions religieuses de ses sujets, ses coreligionnaires, avec les résistances et les aspirations de ses sujets chrétiens, anxieux de se dérober à sa puissance souveraine ? Nous sommes-nous mépris, et avons-nous exagéré les difficultés qui l’assiègent et les vices de son gouvernement ? D’aucuns pourraient incliner à le penser. Nous invoquerons, pour leur répondre, le témoignage d’un diplomate qui a, mieux que tout autre, connu la Turquie, qui l’a, en quelque sorte, administrée, et a déployé toutes les ressources de son esprit pour l’aider à se reconstituer. Voici comment lord Stratford de Redcliffe s’exprimait devant un public nombreux, dans un banquet qui lui était offert par ses compatriotes : « Pendant toute la durée de ma mission à Constantinople, j’ai toujours eu pour but de protéger efficacement le commerce anglais, et en même temps de guider et de soutenir le gouvernement ottoman dans l’accomplissement de l’œuvre difficile qu’il poursuit depuis de longues années. A une autre époque, j’ai, un instant, espéré le succès ; mais aujourd’hui je me vois à même de déclarer que, malgré les bonnes intentions du souverain, malgré le talent d’un petit nombre d’hommes dévoués à leur pays, le succès est impossible. La masse de la nation est essentiellement corrompue ; le gaspillage, le vol, la vénalité sont partout ; l’affaissement se trahit de tout côté, et à mes yeux le mal est désormais sans remède. » Ce jugement, l’ambassadeur d’Angleterre le portait en 4852, sous le règne d’un prince doux