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et conciliant, entouré de ministres qui avaient courageusement entrepris de rendre à la Turquie, en corrigeant les abus, en apaisant les haines, son éclat des temps passés. Si sévère qu’il soit, serait-il moins opportun, moins justifié aujourd’hui ? Nul ne saurait le penser après les criminels égaremens d’un gouvernement aveugle ou coupable ; après les emportemens sanguinaires dont des milliers de chrétiens viennent encore d’être les victimes sans distinction ni d’âge ni de sexe ; après les assassinats prémédités, méthodiquement perpétrés dans les rues mêmes de Constantinople, sous l’œil et avec la complicité manifeste des agens de l’autorité !


VIII

La question d’Orient aujourd’hui se dresse donc tout entière devant l’Europe, avec toutes ses menaces, avec toutes ses aspérités, complexe et insoluble à première vue, telle quelle s’est présentée à tous les tournans de son histoire depuis bientôt un siècle, depuis qu’elle s’impose aux méditations des hommes d’Etat. Quand on se reporte aux premiers temps, à l’époque où l’insurrection de la Grèce passionna les âmes généreuses, on constate qu’elle a fixé l’attention de tous les publicistes et des lettrés de haute valeur ; que déjà, à ce moment, elle était débattue avec une entière connaissance de cause et sous tous ses aspects, qu’on envisageait la ruine de l’empire comme une éventualité imminente. Dans une brochure qu’on pourrait encore lire avec fruit et avec intérêt, Benjamin Constant soutenait qu’au point de vue scientifique la doctrine de la légitimité des droits souverains du sultan sur les chrétiens de l’Europe orientale était une monstruosité et qu’il ne fallait pas joindre à l’absurdité du principe l’imprévoyance, plus dangereuse encore, de discipliner des barbares. Villemain mettait en pleine lumière, à l’aide de témoignages historiques et de considérations ethnographiques, le droit des Grecs à la liberté. Chateaubriand publiait une série de notes pressant les puissances de les secourir ou de leur reconnaître, dans tous les cas, la qualité de belligérans, qualité qui, en donnant un nouvel essor à leur vaillance, déterminerait la Porte, croyait-il, à mettre un terme à une guerre où elle épuise ses forces et ses ressources. L’illustre écrivain relevait, avec une hauteur irritée, que loin de leur prêter assistance, les puissances les avaient