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ESSAIS ET NOTICES


Dijon, monumens et souvenirs, par Henri Chabeuf, membre de l’Académie de Dijon, 1 vol. gr. in-4o, illustré de 140 photogravures par Chesnay; Dijon, librairie Damidot.


J’ai connu jadis un Anglais qui adorait Dijon. Pas une fois il ne manquait à s’y arrêter, lorsque, le printemps venu, il recommençait son pèlerinage annuel aux vieilles cités d’Italie. « C’est, me disait-il, un endroit charmant, et que je ne saurais trop vous recommander pour peu que vous détestiez, comme moi, les nuits en wagon. Partant le soir de Paris, j’y arrive à temps encore pour me faire servir, dans un hôtel voisin de la gare, mon meilleur dîner de l’année entière. Mais quel dîner! Quels vins, quel poisson, quels rôtis, sans compter la moutarde ! Là-dessus une bonne nuit, dans une grande chambre bien chaude; et le lendemain matin je reprends ma route, reposé et ragaillardi, emportant de cette aimable ville un souvenir mêlé de regrets et de reconnaissance. » Je m’avisai un jour de lui demander s’il n’y avait pas à Dijon d’autres curiosités : car je le savais un peu archéologue, et s’éprenant volontiers de beaux monumens. « Ma foi, me répondit-il, je n’ai jamais songé à m’en informer! Je me rappelle seulement une façon d’arc de triomphe, devant l’hôtel, et peut-être aussi quelques clochers, qu’on voit de la gare. Mais la ville est loin, l’express n’attend pas, et c’est assez pour moi que Dijon soit un des lieux du monde où l’on dîne le mieux. »

Mon ami avait raison : on dîne bien à Dijon, comme je m’en suis aperçu moi-même en m’y arrêtant à mon tour[1]. Et je me suis aperçu, de plus, que mon ami n’était pas le seul Anglais à l’avoir découvert. Tous les soirs j’ai vu arriver, dans l’hôtel qu’il m’avait vanté, de nouvelles fournées de ses compatriotes. Ils y dînent, y couchent, et s’en vont le lendemain par les premiers trains. Les uns font route pour Marseille et Nice, d’autres pour Milan, ou pour les rives souriantes du lac de Genève. Aucun d’eux n’a l’idée que cette ville « où l’on dîne si bien »

  1. Déjà Emile Montégut l’avait constaté il y a vingt-cinq ans, dans un chapitre de ses Souvenirs de Bourgogne. « On y mange, écrivait-il, d’une manière conforme aux exigences du palais d’un galant homme. » (Voyez la Revue du 1er mai 1872.)