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pareille alerte, il n’est point d’épreuve que l’on ne puisse traverser victorieusement. Il y a, je crois, une forte part d’illusion dans ce retour d’optimisme. Est-on bien sûr que le jeu des petits papiers ait cessé pour jamais? Et puis, et surtout, si vraiment cette crise d’indignation morale et d’épurement avait passé, comme un flot débordé qui rentre dans son lit sans laisser d’autres traces que quelques épaves mises à sec; si une grande démocratie, qui se pique de se gouverner elle-même, n’avait vu dans cette affaire que le prétexte de quelques vendettas privées et l’occasion de quelques saturnales de l’esprit de parti, c’est alors qu’en vérité le mal serait bien plus grand qu’on ne pense. Une pareille indifférence trahirait, non seulement la paralysie du sens moral, mais même l’oblitération du sens politique.


III

Les élections générales de 1893 parurent dénoter un certain affaissement de l’esprit public. Elles avaient été annoncées comme les grandes assises de la morale vengée; elles se firent, par un de ces étranges reviremens familiers au tempérament français, sous de tout autres auspices. La République, que l’on avait essayé de rendre solidaire de ces déplorables défaillances individuelles, y fit preuve d’une étonnante élasticité. Pour beaucoup d’esprits courts, on en avait fini d’un pénible épisode : il y avait là comme une promesse d’impunité et une invitation à recommencer le passé. De nouveau à la tête des affaires et pourvus d’un long bail, il semblait que, pour profiter des leçons de l’expérience, les républicains n’eussent plus qu’à étouffer vigoureusement dans leurs rangs les germes des animosités et des rivalités personnelles, — tâche rendue plus facile par l’éloignement de cet incomparable artisan de discordes qui a nom M. Clemenceau. Quoi de plus simple alors que de reprendre, au point où on l’avait dû laisser pour soutenir un combat de vie ou de mort, la politique de coterie, de secte et de faction? En cherchant bien, on trouverait sûrement quelque bon tour à jouer à ce clergé, auquel il suffit de jeter à la face le reproche de cléricalisme pour en tirer le droit de lui courir sus comme à un ennemi. Avec la reprise de la lutte de la mairie ou de l’école et de l’église, en lançant de nouveau l’instituteur transformé en commis voyageur de la libre pensée et en agent électoral du radicalisme contre le prêtre traité en suspect