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et réduit à la portion congrue, il y aurait chance de voir renaître entre les groupes de la majorité l’union des beaux jours de l’article 7 et de l’expulsion des ordres religieux. Ce programme était fait pour séduire les fortes têtes du parti. Faire appel tout ensemble aux passions populaires par l’anticléricalisme et aux intérêts égoïstes par le protectionnisme; — ajourner résolument, jusqu’à la dernière extrémité, toute réforme organique, par la double raison qu’elle ne saurait s’accomplir sans léser tel ou tel droit acquis, et sans provoquer ainsi des mécontentemens et que, tant qu’elle reste à faire, elle figure à merveille dans le fonds de commerce des progressistes ; — réaliser enfin des prodiges d’équilibre en refusant à l’église l’abrogation des lois de combat, aux socialistes l’adoption de lois de progrès social, cette politique, dont on ne retrace ici que les grandes lignes, avait un nom : elle s’appelait la concentration.

C’est à l’ombre de ce vocable que se sont déroulées depuis quinze ans — et plus — les destinées de la France. Justifiée peut-être au début par les nécessités de la lutte, par la désastreuse obstination des monarchistes à priver la République du contre-poids d’un parti conservateur constitutionnel, la concentration n’a pas cessé depuis lors de peser sur le pays comme le vieillard de la mer sur les épaules de Siudbad le marin. Pendant plus de quinze ans, ce mot a passé pour doué d’une vertu secrète, et c’est à la pratique du système qu’il désigne que l’on a voulu réduire tout le devoir de l’homme public. C’était, tout d’abord, une consigne électorale en vertu de laquelle, entre deux candidats, dont l’un avait à la bouche le mot de république, mais professait sur tous les autres points des opinions radicalement opposées à celles de la majorité du parti républicain, et dont l’autre soutenait des principes conformes à ceux de cette majorité, mais ne pouvait faire ses preuves de républicanisme perpétuel, l’électeur républicain, même modéré, était tenu de voter pour le premier. C’était ensuite une consigne parlementaire en vertu de laquelle il était interdit à un ministère républicain de se former autrement qu’à l’aide d’élémens empruntés aux fractions les plus diverses du parti; de s’appuyer sur une majorité qui ne fût pas républicaine: et, par-dessus tout, de gouverner autrement qu’en faisant une sorte de moyenne entre les exigences contradictoires de l’extrême gauche et du centre. Voilà, en raccourci, ce qu’était la théorie de la concentration.