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un romancier oublié.

oublié. Ces premières pages sont charmantes de naturel. Elles ont cet air aventureux qui nous plaît si fort dans les amours de jeunesse d’un Condé ou d’un La Rochefoucauld et qui ne sied pas moins aux premières amours d’un La Feuillade. Point de complications inutiles ; le récit va vite, et dans les moindres détails c’est la même apparence de vérité. Je voudrais transcrire toute la scène dans laquelle le valet de La Feuillade, déguisé en colporteur, gagne la confiance du vieux curé de Castelnau et réussit à placer chez lui son jeune maître : « Ils causèrent de choses et d’autres en buvant le petit coup… » Ce bon curé de village, naïf et bavard, friand de bon tabac d’Espagne, un peu chiche d’ailleurs et disposé, malgré ses 2000 livres de rente, à lésiner sur le gage de ses domestiques, comme il m’amuse plus et comme à lui seul il vaut mieux que toutes les panoplies de La Calprenède !

IV

Il ne suit pas de là que Sandras ait créé le roman moderne.

En premier lieu, son style est bien médiocre. Les négligences, les incorrections y foisonnent ; il écrit sans se troubler : « On me soupçonna d’être son homicide. » — « Il voulut voir s’ils sortiraient heureusement et sans qu’il leur en coûtât le nez ou les oreilles ou quelque autre membre. » Ses élégances sont pires : « Il me pria que nous repassassions sur son vaisseau. » On se heurte chez lui aux plus basses plaisanteries, aux mots les plus crus ; certain duel qu’Aramis accepte, bien qu’il ait pris médecine le matin même, nous est conté avec toutes ses circonstances. À vrai dire, quand il fait parler des mousquetaires du roi ou des gardes du cardinal, ce langage rude, mais plein de verve et de verdeur, ne déplaît pas ; les trivialités en sont parfois expressives, les gaillardises savoureuses. Rochefort, dont le père s’était remarié, se plaint d’avoir eu l’enfance la plus malheureuse, « pendant qu’on caressait le fils du second lit qui était galeux comme un braque. » Devenu riche, tout occupé à caser ses frères et sœurs : « Je puis dire, s’écrie-t-il, que j’étais chargé d’enfans sans avoir eu le plaisir de les faire. » Hélas ! Sandras fait aussi parler des gens de cour, des grandes dames, et ne change alors ni de ton ni de vocabulaire. Dans les Mémoires de la marquise de Fresne la forme est plus étrange peut-être que le fond. Les discours de Mme de Fresne ne sont que de batailles et de bombardemens, de