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Constance pâme lui aussi et ne revient à lui que pour « tirer de son estomac cent pénibles hélas. » Même situation dans l’Histoire du maréchal de La Feuillade. Dans sa vingtième année, La Feuillade a aimé Mlle de Halvin ; ils s’aimaient sans se l’oser dire. Ils sont très joliment peints l’un et l’autre au début du récit : lui dans son élégance et sa désinvolture de jeune gentilhomme, fier, brave, un peu cerveau brûlé ; elle, dans la grâce de ses seize ans, sous sa couronne de cheveux d’un « blond cendré ». Les parens de Mlle de Halvin la forcent à épouser le comte de Clermont-Lodève qu’elle suit à Castelnau, mortellement triste. Il ne tarde pas à s’apercevoir de sa tristesse, l’espionne et surprend son cher secret. Elle lui était jusqu’alors indifférente : en apprenant qu’elle a aimé, que peut-être elle aime encore, il se sent du goût pour elle ; il l’obsède de ses désirs, et ce lui est un supplice nouveau. De son côté, La Feuillade ne souffre guère moins. Il a dû accompagner le jeune roi dans le Midi ; la tête lui tourne en apercevant, dans le lointain le château des Clermont-Lodève ; il se dérobe, et à l’aide d’un déguisement entre au service du curé de Castelnau. Le lendemain, en se rendant à la messe, la jeune femme s’arrête selon sa coutume au presbytère, et comme le curé est allé porter les sacremens à un moribond, elle s’assied pour l’attendre. À la vue de La Feuillade, elle s’évanouit, et il a grand’peine à la ranimer : « Elle revint à elle, si changée encore qu’elle n’était pas reconnaissable. » Elle refuse de l’entendre, elle lui ordonne de se retirer, et si durement qu’il est à son tour sur le point de défaillir. Éperdue, elle le laisse ainsi et regagne sa demeure où la fièvre la force aussitôt à s’aliter.

La donnée est identique. Combien les procédés sont différens ! Aux conversations, aux harangues, aux monologues sans fin du Pharamond, au roman oratoire se substitue une narration courte et vive. La métaphysique sentimentale fait place à des faits. Ce que La Calprenède délayait en un volume tient maintenant en une cinquantaine de pages. Surtout, le théâtre a changé. Nous ne sommes plus dans je ne sais quel fabuleux pays, à la cour tout ensemble barbare et chevaleresque du roi Ataulphe ; nous sommes en France, au temps de Louis XIV ; entre le lieu de la scène et les sentimens des acteurs, entre leur costume et leur rôle le risible désaccord a cessé. L’avouerai-je ? Quand j’ai commencé à lire l’Histoire du maréchal de La Feuillade, j’ai cru tenir entre mes doigts, sinon un chef-d’œuvre, du moins un très joli livre