Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/902

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bourse qui n’est, en somme, qu’un organe de la vie nationale, sans existence propre, sans personnalité effective. Le pouvoir qu’on lui attribue n’est pas à elle. Il n’est ni aux boursiers, ni au parquet des agens de change, ni à la coulisse, il est au public qui opère par leurs mains. La Bourse n’est même pas un pouvoir, à la façon de la presse ; sa voix n’a d’autorité qu’autant qu’elle exprime l’opinion des intérêts dont elle est l’organe. Elle n’a, le plus souvent, ni avis, ni sentiment à elle ; elle reflète l’opinion, plutôt qu’elle ne la dicte ou qu’elle ne la dirige. On se plaint de l’ascendant de la Bourse, je ne vois pas que nos démocraties prêtent beaucoup l’oreille à sa voix ; autrement les peuples se gouverneraient avec plus de prudence et plus d’économie. Si jamais la cote a été l’oracle des ministres ou des Chambres, ce n’est pas dans la France d’aujourd’hui. Certes, gouvernement et parlement ont raison de ne pas administrer, ou de ne point légiférer, en tenant les yeux fixés sur la Bourse. Il est, pour les peuples, des boussoles plus nobles, et les hommes d’État ont le droit de chercher, plus haut, des étoiles directrices. Mais, sans gouverner en vue de la Bourse, les gouvernemens ont peut-être tort de faire fi de ses conseils, car ses avis peuvent être sensés, et la cote est, elle aussi, après tout, la voix de l’opinion, et une voix qu’il n’est pas toujours aisé de faire parler à son gré.

« La Bourse est toute-puissante, écrivait Proudhon ; aucune puissance, ni dans l’antiquité ni dans les temps modernes, ne peut se comparer à la sienne. » Cela était-il vraiment juste de la monarchie de Juillet et du second Empire, deux gouvernemens assez différens l’un de l’autre cependant ? Je ne crois pas qu’on en puisse dire autant de la troisième République. Proudhon lui-même, malgré son goût du paradoxe, n’oserait plus écrire que la Bourse fait et défait les empires. Elle ne sait même plus faire ou défaire les ministères. Si nos législateurs ont les yeux et le cœur tournés vers l’argent, ce n’est pas vers la Bourse qu’ils regardent, quand ils appuient ou quand ils renversent un cabinet. A-t-elle jamais été un pouvoir dans l’État, la Bourse est un pouvoir en décadence. Il n’y a qu’à voir la façon dont nos finances sont gérées pour mesurer son autorité dans la République. Autrefois, les gouvernemens les plus probes, les plus libres de l’influence des hommes d’argent, se préoccupaient, en choisissant un ministre des finances, de l’opinion de la Bourse ; il semblait, en ces temps déjà reculés, que, pour administrer la fortune publique, il fallait