Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/926

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le redire, s’est démocratisée, comme toutes choses; elle a pénétré au foyer des petits, elle a cessé d’être le privilège des grands. Tout a poussé à son développement ; et la diffusion de la richesse et la diffusion de l’instruction ; et le sentiment démocratique qui fait que chacun veut paraître; et la compétition universelle qui obstrue les avenues de toutes les carrières ; et la hâte de faire fortune, la rage de jouir, et de jouir vite ; et l’affaiblissement des traditions et des croyances anciennes, le relâchement de tous les freins moraux, le matérialisme pratique qui envahit toutes les âmes et toutes les classes. Tout y a contribué, jusqu’aux attaques quotidiennes des socialistes et des radicaux qui poussent le capital aux valeurs exotiques, jusqu’aux conversions de rentes, à la baisse du taux de l’intérêt, à la diminution des revenus fonciers et des revenus mobiliers qui contraignent capitalistes et petits rentiers à chercher des compensations dans les valeurs aventureuses ou dans les plus-values de portefeuille. L’abaissement des revenus joint au relèvement du taux de la vie est une des choses qui ont amené le plus de recrues à la Bourse.. Une femme du monde demandait à un banquier de lui indiquer des placemens. « Voulez-vous dormir? voulez-vous manger ? » répondit le banquier, lui donnant à entendre que, avec des valeurs de toute sécurité, elle ne pourrait tirer de son argent qu’un maigre intérêt. A la plupart des gens, il ne suffit pas de dormir ; ils veulent aussi manger ; c’est pour cela qu’ils se jettent, en si grand nombre, sur les mets frelatés au fumet provocant que leur sert, chaque jour, sur une table toujours garnie, l’art peu scrupuleux des maîtres-queux de la finance. Ne se rencontre-t-il pas, autour de la Bourse, des empoisonneurs publics que la sévérité de la loi pourrait atteindre ? N’y a-t-il point, dans le commerce des valeurs, comme dans celui des denrées alimentaires, des fraudes et des falsifications coupables que l’Etat, au nom de l’hygiène publique, aurait le droit et le devoir de punir? La loi, en un mot, remplit-elle sa mission de vigilance ? Et si le remède ne peut toujours venir de la loi, où faut-il le chercher? C’est ce que nous comptons examiner dans une prochaine étude.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.