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« Et où, dans l’East-End, se trouve cette rue? Partout. Les cent cinquante yards ne sont qu’un chaînon dans une chaîne très longue et très enchevêtrée. La rue aux trous carrés, en réalité, est longue de plusieurs centaines de milles. Elle est coupée en petits fragmens ; mais aucun endroit du monde ne peut être plus justement appelé une rue, une seule rue, car nulle autre part on ne saurait voir un tel manque d’accent particulier, une uniformité aussi sordide, une tristesse aussi constante et aussi monotone. »


Je n’ai pu m’empêcher de traduire, presque en entier, ce petit tableau, qui sert de préface à un recueil de nouvelles, les Contes des rues basses, l’œuvre de début de M. Alfred Morrison. Il m’a semblé que nul commentaire ne pourrait donner une idée plus juste de la manière habituelle du jeune écrivain, encore que certains passages de cette préface sentent un peu trop l’écolier, et que M. Morrison ait, depuis lors, notablement simplifié et varié son style : mais il a gardé le même tour de description, à la fois précis et ironique; et c’est à l’étude des mêmes milieux qu’il a consacré, après les nouvelles de son premier recueil, tout un grand roman : Un enfant du Iago, qu’il vient de publier avec un succès des plus vifs. Tout au plus a-t-il essayé, dans ce roman, de nous faire descendre quelques nouveaux degrés, ou plutôt, suivant son expression, de nous conduire jusqu’au plus profond de ces « tournans », obscurs et monstrueux, qui « séparent l’une de l’autre les ruelles de l’East-End. » Entre les habitans de la Cour du Iago, tels qu’il nous les présente, et ceux de la rue qu’il nous avait décrite dans son livre précédent, l’unique différence est dans la façon dont ils gagnent leur vie : car il n’y a plus personne, à Iago-Court, pour aller aux docks, ni à l’usine à gaz, ni aux chantiers de la Tamise; la prostitution et le vol y sont les seuls métiers en honneur. Et cependant le décor de la vie y est le même, ou à peu près, et il n’y a pas jusqu’aux mœurs et aux sentimens qui ne se ressemblent beaucoup, d’un endroit à l’autre. Les Tales of Mean Streets ne commencent-ils point par l’histoire d’un misérable qui, plutôt que de se résigner à chercher du travail, contraint sa jeune femme à se chercher un amant? Et que pourrait faire de pis un habitant du Iago?

Cette rue, avec ses dépendances, c’est elle qui est l’objet constant des récits de M. Morrison. Après nous en avoir décrit les dehors, il nous la montre du dedans, étalant à. nos yeux ce qui se cache de misère, et de saleté, et d’ignominie derrière ces « trous carrés » qui servent de fenêtres. Il s’est constitué l’historien, le poète, le peintre de