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Sans aucun doute c’était pour elle une grande joie de la posséder, comme c’en eût été une pour lui, s’il n’avait pas été contraint de la porter aussitôt à M. Weech, en paiement d’une dette. Et son imagination se perdait en rêves variés, sur ce qu’il aurait fait avec une pendule lui appartenant... Oui, certes, une pendule serait l’une des premières choses qu’il achèterait, quand il serait riche. Et il allait se mettre en quête de bons coups. N’était-ce pas le seul moyen de devenir riche ? »

Mais le souvenir de la pauvre femme le poursuivait : et Dicky résolut de lui donner une autre pendule, ou, à défaut d’une pendule, quelque autre objet qui lui ferait autant de plaisir. Aussi longtemps qu’il ne l’aurait point trouvé, il sentait que sa conscience ne lui laisserait pas de repos. Il se mit donc en chasse, explora toutes les boutiques, et finit par fixer son choix sur une boîte à musique, à l’étalage d’un bazar. Le récit de la manière dont il vola cette boîte, et de sa course folle à travers les rues du Iago, avec un garçon du bazar courant sur ses talons, et de ses peurs, et de ses désespoirs, et de sa joie ensuite quand il se vit sauvé, c’est à coup sûr un des plus beaux chapitres du roman de M. Morrison. Une émotion s’en dégage à la fois simple et forte, comme des histoires d’enfans que raconte Dickens. Mais d’ailleurs toute cette éducation du petit Perrott est présentée avec un art admirable. Sans jamais insister plus qu’il ne convient, l’auteur nous montre, de page en page, comment les plus heureuses dispositions de l’enfant, ses meilleurs instincts et ses sentimens les plus généreux s’atrophient ou s’emploient au mal, fatalement, irrémédiablement, faute d’une voix qui lui révèle qu’il y a pour l’homme une autre vie que celle du Iago.

Cette voix, le malheureux ne l’entendra jamais. Ce n’est ni à l’école, ni au temple, qu’il pourra l’entendre. On y parle de sujets qui ne le touchent pas, ou bien on y parle en des termes qu’il ne comprend pas. Un jour, le révérend Sturt lui procure un métier : il le place chez un épicier de Bethnal Green Road, pour vendre à l’étalage. Mais, outre que Dicky ne voit pas très nettement la supériorité de ce genre de travail sur l’autre, celui des bons coups, le receleur Aaron Weech trouve vite le moyen de le faire chasser; il a besoin de lui, et ne saurait admettre d’être privé de ses services. « Oui, c’était décidément M. Weech qui avait raison. Il était du Iago, il n’avait qu’à vivre comme on vivait au Iago. Ce n’était point son affaire de sortir de la vie normale, à la poursuite de folles visions. Le père Sturt était une créature d’une autre race que lui. Mais lui, Dicky Perrott, de quel droit aspirerait-il à s’affranchir des usages de sa race? A quoi bon tenter l’impossible,