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se dérober devant l’inévitable? Les voies pour sortir du Iago, le vieux Beveridge les lui avait jadis enseignées : c’était la prison, la potence, ou la Haute Pègre. La Haute Pègre, voilà l’unique ambition qui lui était permise. » Et le soir même il se remit à voler; et quand, peu de temps après, son père fut conduit en prison, c’est du produit de ses vols qu’il fit vivre sa mère. Il devint pareil à des milliers d’habitans du Iago, sans perdre jamais tout à fait la profonde innocence qu’il avait dans le cœur. Un jour enfin, dans une bagarre, il reçut un coup mortel : celui qui le lui avait porté était son pire ennemi, c’était ce même bossu que, jadis, il avait jeté sur le pavé de la cour. Mais Dicky avait l’âme si généreuse qu’il refusa de le dénoncer ; et il mourut sans une plainte, après avoir seulement recommandé à sa mère de « dire de sa part à M. Beveridge qu’il y avait une autre voie que la Haute Pègre pour sortir du Iago, une voie meilleure. »

Tel est, en résumé, ce roman, où le réalisme le plus brutal s’allie à des émotions d’une extrême douceur. Sous les dehors d’une peinture de mœurs, c’est en réalité un pamphlet; et ce pamphlet n’est point dirigé contre les habitans de l’East-End, mais plutôt contre ceux des quartiers de l’Ouest, contre les pharisiens qui, sachant que de tels maux existent, préfèrent n’y point penser plutôt que d’essayer d’y porter un remède. Et que de tels maux existent, l’accent de vérité du livre suffirait à nous le prouver : mais d’autres témoignages viennent encore appuyer et renforcer celui-là. Attaqué par une grande partie de la presse anglaise, qui lui reprochait de noircir à dessein son tableau, M. Morrison n’a pas trouvé de plus chaleureux défenseurs que les membres du clergé de l’East-End. L’organe de l’évêque de Stepney, l’East London Church Chronicle, a certifié sans réserve l’exactitude de ses descriptions. Et dans une lettre qu’il vient d’adresser à la Fortnightly Review, le curé de la paroisse du Iago, M. Osborne Jay, assure que M. Morrison n’a rien inventé, rien exagéré. « Quoi qu’en pensent les philanthropes qui, habitant l’ouest de Londres, parlent des quartiers de l’est, dit-il, le livre est d’une sincérité absolue et parfaite. L’emplacement où était la Cour du Iago a en vérité disparu, ou plutôt est en train de disparaître. Mais la race qui l’habitait existe toujours : et c’était cette race qui rendait le lieu mauvais, et non le lieu qui dégradait la race. Le problème reste entier. » Mais, hélas ! est-ce là un problème qu’on puisse espérer résoudre avec des romans?


T. DE WYZEWA.