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eût pu amener l’inflammation produite par un choc. M. Berthelot cite d’ailleurs des compositions de mélanges qui, d’abord inoffensifs, dégagent ensuite, par des réactions lentes et spontanées, des corps explosifs qui éclatent même sans provocation. De ces expériences, il n’était donc rien resté qui put répondre aux termes du programme, et le phosphore sortait vainqueur de cette nouvelle épreuve.

Remarquons d’ailleurs que cette enquête du ministre et de la Commission était vraiment illusoire ; et les savans qui composaient cette dernière auraient pu reconnaître qu’il n’était pas besoin de faire appel aux inventeurs modernes pour trouver l’allumette sans phosphore, car elle est connue depuis soixante ans. La première allumette de Kammerer, en 1832, était, nous l’avons dit, sans phosphore ; celle de Canouil n’en contenait pas davantage. Elles n’étaient ni meilleures ni pires que les plus récentes inventions et l’on aurait pu se borner à en reproduire les formules, que nous ont laissées leurs auteurs.

Dans tous les cas, l’administration, convaincue de l’impossibilité de rencontrer l’allumette cherchée et frappée aussi des perturbations profondes qu’allait apporter à l’industrie l’adoption d’un type nouveau, ne donna aucune suite à cette enquête, et nul changement ne lut introduit dans les usines.

Entre temps, le cabinet Ribot, l’initiateur de la réforme demandée, avait fait place au ministère Doumer, qui se montra très favorable aux intérêts des allumettiers. Le ministre fit à son tour aux usines de Paris une visite au cours de laquelle, frappé du degré extrême d’insalubrité des installations et du nombre très élevé des malades signalés, il annonça la fermeture des usines et décida qu’on accorderait aux ouvriers des secours de toute nature. Mais, fermer les usines, laisser sans travail une importante population ouvrière, il n’y fallait pas songer : une grève devenait imminente. On ajourna donc encore toute mesure radicale ; on l’ajourne aujourd’hui ; on l’ajournera demain ; c’est une impasse.

Sans doute, on n’a pas le droit, dans une période de découvertes et d’inventions comme celle que nous traversons, de venir affirmer que ce fameux succédané du phosphore blanc, tant cherché jusqu’à ce jour, ne sera pas découvert demain et que cette allumette idéale n’apparaîtra pas triomphante ; mais aussi longtemps qu’un tel résultat se fera attendre, il ne faut pas oublier qu’il y a de graves intérêts en présence, des existences humaines