Les touristes ne sont que des passans ; mais un passant qui a l’esprit vif et prompt, le goût et le don d’observer, ne se borne pas à voir ; il commente ses impressions, il réfléchit, et je serais surpris si les réflexions de M. Seippel n’étaient pas justes. En visitant la cité du Lac Salé, il a constaté la déchéance du mormonisme ; il remarque à ce sujet « que si Brigham Young n’a rien fondé de durable dans l’ordre spirituel, c’est l’inévitable sort de toutes les doctrines sans idéal. » Il a visité aussi à deux heures de chemin de fer au sud de San-Francisco, dans la riante vallée de Santa-Clara, l’université récemment créée par un millionnaire américain, feu Leland Stanford, ancien gouverneur de la Californie, lequel a consacré à sa fondation trente millions de dollars. Les bâtimens sont luxueux, l’installation est magnifique ; mais, dans cette université bisexuelle, il n’y a guère que les étudiantes qui étudient ; les étudians sont plus friands de sport que de science. Eclairage, chauffage, ventilation, la spacieuse bibliothèque ne laisse rien à désirer, à cela près que les casiers vides y sont plus nombreux que les livres. Sur les 23 000 numéros du catalogue, 10 000 sont classés au chapitre : Chemins de fer ; on y trouve une collection complète de vieux indicateurs, documens précieux pour l’étudiante qui voudrait faire une thèse sur la marche comparative des trains dans le monde entier. Le musée est une extravagante collection de croûtes, acquises et pieusement admirées par M. Stanford. La salle d’honneur contient ses reliques, enfermées en des châsses de verre, et particulièrement deux de ses parapluies, l’un en alpaga, humble témoin de ses laborieux commencemens, l’autre en soie croisée, à pomme d’or, symbole des grandeurs où il était parvenu. En sortant de la Stanford University, M. Seippel a écrit sur son calepin : « Rien ne peut s’improviser dans l’ordre de l’esprit uniquement à coups de dollars. » Cette réflexion très judicieuse consolera les idéalistes qui n’ont qu’un faible espoir de devenir millionnaires.
Il a vu des fils et des filles du Nippon s’en aller tout nus par les routes, et il s’est étonné que le Japonais unît souvent l’ingénuité paradisiaque de la tenue à l’extrême raffinement des manières. Cela prouve, selon lui, que le sentiment de la pudeur est en tout pays en raison inverse de la hauteur moyenne du thermomètre, que, très puissant dans les régions du Nord, il s’évapore sensiblement au soleil du midi et disparait sous les tropiques. Il se plaint que ces mêmes Japonais rient de tout, que pour nos oreilles, leur rire sec et nerveux sonne faux et à la longue nous devient insupportable. Il affirme que la glande lacrymale doit être atrophiée chez eux, qu’il n’a pas vu une larme au Japon, « une