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des mots faciles ; des mots de toutes les qualités ; et cela est très bien ainsi : car, s’il n’y en avait que d’exquis, ce ne serait plus vraisemblable. — Vers la fin de l’acte, première apparition de la « douloureuse ». On apprend que le maître de la maison, Ardan, le mari d’Hélène, a reçu la visite du commissaire de police, et qu’il vient de se faire sauter la cervelle dans son cabinet de toilette, discrètement et en homme du monde. Ce « fait divers » n’empêche point les invités de souper « par petites tables ». On a généralement trouvé ce cynisme excessif. Je n’y ai vu, pour moi, que le léger « grossissement dramatique » d’une observation vraie jusqu’à l’évidence.

Et la première moitié du deuxième acte ? — Eh bien, réflexion faite, elle n’est point inutile, puisque c’est là surtout que M. Maurice Donnay rachète son âme. — Vous avez dû remarquer ce qu’il y a de franchise et de fougue sensuelles dans quelques-unes des meilleures comédies, et les mieux accueillies, de ces derniers temps. Le tempérament de Mme  Réjane, auquel se conforment naturellement les jeunes auteurs, n’est pas étranger, je crois, à cette nouveauté. J’ignore si, comme on le répète, on ne sait plus aimer dans la réalité, mais on s’est certainement remis à aimer sur les planches, d’un violent amour de chair, très simple au fond et très brutal. Le théâtre et le roman nous ont remués par des histoires de passion, d’élémentaires histoires de possession, de rupture et de reprise, d’où toute autre croyance que la croyance aux droits de l’instinct, et toute notion de morale sociale ou religieuse étaient à peu près aussi absentes que de l’aventure de Manon et du chevalier des Grieux. Or, M. Maurice Donnay semble s’être aperçu qu’Hélène et Philippe n’étaient, après tout, que des êtres de désir et de plaisir, et s’en être vaguement scandalisé, et s’être dit ingénument que, tout de même, il y a « autre chose que ça » dans la vie. Il a songé aussi, j’imagine, que l’amour, même porté au point où il passe pour s’absoudre lui-même, n’est pourtant encore qu’une des formes de l’égoïsme, puisque les sacrifices dont il est capable, c’est encore à lui-même qu’il les fait ; et qu’on ne voit pas bien en quoi cet égoïsme-là est plus honorable que les autres. Bref, ses propres personnages, si délicieux, mais à qui le reste du monde est si indifférent, ont fini par inquiéter sa conscience. Et c’est pourquoi (car vous n’en trouverez pas d’autre raison), sur la terrasse du deuxième acte, dans un bon fauteuil de jardin, il a assis une « bonne dame », une vraie bonne vieille dame d’autrefois, du lointain Second Empire : Mme  Leformat. Et, entre Mme  Leformat et Hélène, entre cette bonne dame et cette petite femme, il a institué une discussion sur le mariage, sur le