la Grèce mettait en jeu toutes les ambitions qui se tiennent en équilibre assez peu stable autour de la Macédoine. Ni les Bulgares, ni les Serbes ne toléreraient que les Grecs reçussent leur part des dépouilles ottomanes, sans réclamer immédiatement et sans exiger la leur. Ils feraient mieux, ils se précipiteraient pour la prendre. L’exemple donné par le roi Georges ne serait pas perdu. Si la Grèce jouit les sympathies un peu vagues de tout le monde, d’autres pays peuvent se réclamer du patronage plus précis de telle ou telle puissance. On ne songe pas sans effroi aux entraînemens qui se produiraient, dans l’hypothèse où nous nous plaçons : ils s’étendraient peut-être très loin. C’est parce que toutes les puissances veulent également la paix qu’elles se refusent à une épreuve à laquelle toutes seraient plus ou moins exposées. Nous ne disons pas qu’il serait impossible d’échapper au danger ; mais qui oserait assurer avec certitude qu’on y échapperait ? La sagesse conseille de fuir les tentations. C’est pour cela que, parmi les grandes puissances, il n’en est aucune qui croie pouvoir en ce moment donner la Crète à la Grèce, ou la laisser prendre par elle.
Mais il n’en est non plus aucune qui admette que la Crète puisse être replacée dans la situation où elle était hier. On ne concevrait pas que la tutelle de l’Europe se fût exercée, même pendant quelques jours, sur la grande île, pour la remettre ensuite à la discrétion du sultan. C’en est fait du gouvernement direct de la Porte sur elle. Il ne s’agit plus aujourd’hui que de trouver, pour la lui appliquer, une de ces combinaisons intermédiaires qui, tout en respectant la souveraineté ottomane, ont déjà assuré à plusieurs provinces de l’Empire une autonomie très large et très réelle. Parmi les exemples à invoquer, on n’a, en vérité, que l’embarras du choix. Lord Salisbury s’est montré judicieux en s’attachant plus particulièrement à celui de Samos. Samos est aussi une île grecque, et, depuis 1832, elle vit heureuse et tranquille sous des institutions garanties par la France, l’Angleterre et la Russie. Elle a un prince, nommé par le sultan, mais qui gouverne ensuite avec une véritable indépendance. Elle n’a guère d’autre rapport avec la Porte qu’un léger tribut à lui payer annuellement. Voilà un modèle de constitution qui peut être utilisé en Crète. Il y a encore celui du Liban. Il y a celui de la Roumélie orientale. Il y a celui de l’Herzégovine et de la Bosnie. Il y a celui de l’Egypte, placée héréditairement par une suite de firmans sous le gouvernement des descendans de Mehemet-Ali. Il y a celui de Chypre, dont l’administration a été confiée à l’Angleterre. Tous ne sont pas également heureux : nous les rappelons néanmoins pour montrer l’abondance et la variété des systèmes auxquels on peut