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l’intégrité de l’Empire ottoman, parce qu’il serait impossible de limiter le démembrement. M. Curzon et M. Hanotaux, dans des termes vigoureux et avec des images expressives, ont donné la sensation matérielle de ce danger dont nous avons essayé de montrer nous-mêmes la menace inquiétante. Ils n’ont pas hésité à dire qu’il s’agissait de la paix de l’Europe, et M. Curzon a affirmé que tous les hommes politiques qui ont l’intelligence et le sentiment de leurs devoirs pensent de même à cet égard. Les uns et les autres, et nous croyons à la sincérité de tous, ont eu soin de professer le désintéressement le plus complet : travailler pour la paix, c’est travailler pour l’intérêt général et non pas pour un intérêt particulier, quel qu’il soit. Ce langage ne pouvait étonner dans aucune des bouches d’où il sortait ; cependant, il a particulièrement frappé dans celle de M. Curzon. Non pas qu’on ait jamais attribué au cabinet britannique des vues foncièrement différentes de celles des autres gouvernemens européens ; personne n’en a eu la pensée ; mais les mouvemens d’opinion ont été parfois si violens en Angleterre, et dans plus d’une circonstance, les discours des ministres de la Reine ont eu un accent si passionné, que leur prudence d’aujourd’hui devait être plus remarquée. Il y a un an, la préoccupation dominante chez lord Salisbury était de dénoncer à l’indignation du monde civilisé les vices du gouvernement ottoman et les odieuses conséquences qui en résultaient. Il cherchait le coupable, il en découvrait un seul, il le menaçait des vengeances célestes. Son sentiment personnel ne s’est pas modifié, mais il juge opportun de l’exprimer maintenant sous une autre forme. S’il a quelque peu contribué à déchaîner en Orient la tempête que M. Curzon a présentée comme susceptible de tout envahir, il ne cherche plus qu’à l’apaiser et il y emploie, on l’a vu, les meilleurs moyens. Dans une des dernières séances de la Chambre des lords, le marquis de Salisbury, en réponse à une question de lord Dunraven, a donné lecture du texte même des propositions qu’il a faites à l’Europe. Elles sont de tous points conformes à ce que nous venons de dire ; — autonomie administrative de la Crète sous la souveraineté de la Porte ; notification aux deux parties intéressées, c’est-à-dire à la Turquie et à la Grèce, de cette volonté désormais inébranlable ; comme conséquence, retrait des troupes de l’une et de l’autre, à l’exception de quelques soldats turcs destinés à représenter ou à figurer la souveraineté ottomane ; comme sanction, emploi de la force contre celle qui résisterait. Ce programme, dans ses lignes principales, est certainement acceptable par tout le monde. Dès lors, entre le gouvernement anglais et le gouvernement français,